Bibliothèque constitutionnelle et de science politique - Tome 156 - L'écriture des lois constitutionnelles de 1875 - 287

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L'ÉCRITURE DES LOIS CONSTITUTIONNELLES DE 1875

une telle perspective hypothétique. Paradoxalement, le droit de dissolution avec
avis conforme du Sénat est pourtant adopté avant que la composition de ce dernier n'ait été définitivement tranchée.
332.  La première fois qu'un tel dispositif est envisagé au cours des travaux
de l'Assemblée156, c'est par l'organe de Thiers lors d'une de ses auditions par la
commission chargée d'organiser la responsabilité ministérielle en décembre 1872,
après qu'il ait notamment appelé à la création d'un Sénat : « Je ferai une hypothèse : on pourrait donner à la Chambre haute le droit de dissoudre l'autre
Chambre. Si l'on adoptait cette combinaison, je ne craindrais plus l'avenir. La
Chambre haute serait toujours d'accord en effet avec le Pouvoir Exécutif ; car les
hommes qui sont au Pouvoir deviennent conservateurs par cela seul qu'ils y
sont »157 explique ainsi le président de la République. Le projet constitutionnel
déposé par Dufaure le 19 mai 1873 formalise alors cette hypothèse158. L'exposé
des motifs justifie la consécration du droit de dissolution comme le corollaire à la
reconnaissance de la responsabilité ministérielle dans une optique de préservation
de la gouvernabilité159 et considère par ailleurs l'intervention du Sénat comme
nécessaire pour éviter les abus du président de la République :
« [le Président] ne saurait être investi de la prérogative supérieure et
vraiment royale de dissoudre à volonté la Chambre des représentants. C'est
sans doute à lui de reconnaitre la nécessité d'une telle mesure, à lui que doit
en appartenir l'initiative. Mais après qu'il l'a proposé, il ne reste que le
Sénat qui puisse être revêtu du droit de la sanctionner. Il en usera avec
156. Plusieurs ouvrages préconisent ce système comme celui de Molinari (op. cit., p. 76-77) ou du
député du Centre droit Savary (op. cit., p. 117-122), lequel explique qu'« il n'est pas nécessaire d'insister
sur le danger que présenterait un Président de la République armé du droit de dissolution, c'est-à-dire
investi de toutes les prérogatives d'un roi avec la durée en moins, et en plus la tentation de la conquérir »
(ibid. p. 117). Voir aussi sa proposition de constitution qui en concrétise l'idée (ibid. p. 223, art. 8).
157. Séance du 16 décembre 1872 (C II 607).
158. Art.  15 : « Lorsque le Président de la République estimera que l'intérêt du pays exige le
renouvellement de la Chambre des députés avant l'expiration normale de ses pouvoirs, il demandera
au Sénat l'autorisation de la dissoudre. Cette autorisation ne pourra être donnée qu'en comité secret
et à la majorité des voix. Elle devra être donnée dans un délai de 8 jours.
Les collèges électoraux devront être convoqués dans les trois jours qui suivront la notification
faite au Président de la République du vote affirmatif du Sénat » (Annexe V. 7.).
Il convient de souligner qu'une telle hypothèse avait également été envisagée par le projet de
constitution du député de la Gauche républicaine Eymard Duvernay, déposé le 5 février 1873, bien
que le terme de « dissolution » ne soit pas employé et que le député la conditionne de surcroît au
renvoi préalable du ministère par la Chambre basse : « Lorsque la responsabilité ministérielle a été
appliquée par l'Assemblée des représentants en raison du blâme dont elle a entendu frapper la
politique du Président, celui-ci, dans le cas où il persévère, soumet sa ligne de conduite au Conseil des
Anciens et s'il obtient son approbation, il a le droit de faire appel au pays par de nouvelles élections
pour l'Assemblée nationale » (Annexe V. 6.). Sa proposition n'est cependant jamais évoquée dans les
discussions ultérieure et l'influence d'Eymard Duvernay est sans commune mesure avec celle de
Dufaure et Thiers.
159. « Si la liberté gagne quelque chose à cette perpétuelle mise en question des cabinets, la
stabilité, la constance de direction, la suite des affaires peuvent y perdre, et les ambitions incessamment
excitées par la chance du succès peuvent entrainer à leur suite des assemblées dont elles exploitent les
passions. La proie offerte à l'esprit de parti en redouble l'ardeur, et il est impossible de s'assurer que
jamais la Chambre des représentants, soit par des résolutions téméraires, soit par une résistance
systématique, soit par des agressions acharnées, ne finira par égarer la politique, paralyser l'action du
pouvoir et mettre en question l'existence même du Gouvernement ; il faut un remède à ce mal ; il faut
une précaution contre ce danger possible. La monarchie constitutionnelle l'a trouvé dans le droit de
dissolution. [...] Pourquoi n'emprunterions-nous pas son remède, quand nous pouvons avoir à
craindre les mêmes maux qu'elle ? » (JO du 20 mai 1873, Annexe n° 1779, p. 3208).

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