Bibliothèque constitutionnelle et de science politique - Tome 156 - L'écriture des lois constitutionnelles de 1875 - 59

L'ÉCRITURE DES LOIS CONSTITUTIONNELLES DE 1875

volonté une prise de position très ferme sur le contenu de la Constitution « naturelle » chez les ultramontains. Dans sa thèse qui analyse les doctrines et l'action
politique de l'épiscopat français au début de la IIIe République, Jacques Gadille
montre que, concernant le droit public, la plupart des évêques ultramontains se
contentent de recommander la restauration de l'« état des choses » tel qu'il aurait
existé au milieu du Moyen Age en Europe50, c'est-à-dire avant tout une étroite
subordination des institutions politiques et des lois de l'État à la « puissance pontificale »51. Toutefois, relève Gadille, Monseigneur Pie préconise en même temps à
ses prêtres un « net désengagement au niveau de la politique active »52 qui s'explique par « la reconnaissance d'une valeur relative égale entre tous les systèmes
constitutionnels »53. Selon l'évêque de Poitiers, l'important est alors que le gouvernement, quel qu'il soit, se soumette à la loi divine et utilise sa force matérielle
pour défendre les intérêts religieux54. Une curieuse brochure publiée en 187155
développe par exemple ce point de vue. L'auteur y explique que « le droit divin
n'est au fond, que le devoir pour le peuple de respecter dans son intérêt bien
entendu les lois justes établies ou consacrées par le long usage »56. Selon lui, si le
comte de Chambord est alors légitime pour revendiquer son droit historique57, la
Constitution dont il est l'expression, il devrait néanmoins obtenir l'aval de la
nation pour être restauré58. Le principe de Henri V ne fait donc pas tout. Si le
prétendant est le mieux à même de défendre les vues extrémistes des ultramontains en matière religieuse, ce qui explique leur soutien, rien ne semble empêcher
pour eux la rédaction d'une constitution ou une restauration votée par l'Assemblée. Les légitimistes « religieux » sont probablement plus sensibles à l'allure
« d'homélie sacerdotale »59 des manifestes de Chambord, à sa personnalité très
pieuse, presque mystique, qu'aux thèses de l'ultra légitimisme politique. Le soutien des ultramontains à la restauration de Henri V dans la plénitude de son principe est donc plus fragile qu'il n'y parait. Ils soutiennent sans réserve la personne60
mais semblent plus indifférents au principe. À l'Assemblée, le refus de toute transaction en matière constitutionnelle, voire de toute participation à l'œuvre
50. GADILLE, op. cit., p. 67.
51. Ibid. p. 69
52. Ibid., p. 57.
53. Ibid.
54. Ibid. p. 57-58. Gadille note toutefois que les évêques « néo-ultramontains » sont plus zélés
que leur maître et préconisent une véritable « politique du surnaturel [...], bruyamment, et en la
confondant avec leur fidélité légitimiste », certains prélats n'hésitant pas à « descendre des hauteurs
des principes pour s'engager dans l'arène politique » (ibid. p. 59). Le quotidien L'Univers peut être
considéré comme le principal diffuseur de cette doctrine.
55. BRUEYRE Ernest, Qu'est-ce que le droit divin ?, La République est-elle de droit ?, Paris,
Lecoffre, 1871.
56. Ibid. p. 3. La monarchie n'est donc pas forcément conforme au droit divin et une république
peut très bien l'être : « Le droit divin s'entend du droit qu'ont les pouvoirs politiques, une fois établis
du peuple ou confirmés par lui, quel que soit leur principe, le gouvernement étant en soi un bien, en
tant que nécessité sociale, partant dans la volonté divine, l'anarchie et les perturbation un mal » (ibid.).
57. Ibid. p. 5-7
58. « Le droit historique combine le droit positif et le droit divin. Quand la souveraineté historique
se trouve interrompue, il lui faut recourir à la nation, consultée, soit dans l'assemblée de ses
représentants, soit dans l'universalité de ses membres, pour se procurer à nouveau le droit positif ».
L'auteur indique sa préférence personnelle pour le plébiscite (ibid. p. 4).
59. Selon l'expression de BEAU de LOMENIE Emmanuel, Les responsabilités des dynasties
bourgeoises, Tome I, de Bonaparte à Mac-Mahon, Paris, éditions Denoël, 1943, p. 250.
60. Il est au demeurant possible de se demander si Chambord n'était pas au fond plus catholique
que monarchiste : pour reprendre la formule de l'historien britannique Brabant, les anciens rois

978-2-275-09298-0__DOCFILE__corpus.indd 42

16-Apr-21 11:34:54 AM

Bibliothèque constitutionnelle et de science politique - Tome 156 - L'écriture des lois constitutionnelles de 1875

Table des matières de la publication Bibliothèque constitutionnelle et de science politique - Tome 156 - L'écriture des lois constitutionnelles de 1875