Revue Droit & Littérature N°5-2021 - 105

Le thème
Si Morel avait moins de 21 ans, une action juridiquement discutable mais réellement mise en
œuvre devant les juridictions de première instance pourrait être exercée à l'encontre de Charlus.
Cette « protection » des mineurs de 13 à 21 ans, réalisée à partir d'une interprétation contra-legem,
est spécifique à l'homosexualité.
B) L'attentat à la pudeur
Dans Albertine disparue, alors que le narrateur pense que l'homosexualité de Saint-Loup
est récente, Aimé, le maître d'hôtel du grand-hôtel de Balbec, rapporte que de nombreuses
années auparavant : « Monsieur le Marquis [Saint-Loup] s'enferma avec mon liftier, sous
prétexte de développer des photographies de Madame la grand-mère de Monsieur. Le petit
voulait se plaindre, nous avons eu toutes les peines du monde à étouffer la chose »53
. Cet épisode
sous-entend une agression sexuelle de Saint-Loup sur un mineur. La légitimité de l'action
en justice existante au profit « du petit » est établie. Aimé fait état de grandes difficultés
pour éviter que l'affaire ne soit portée en justice, sous-entendant ainsi que Saint-Loup serait
passible d'une condamnation.
Juridiquement le Code pénal de 1810 incrimine le viol et l'attentat à la pudeur. Si initialement
les deux infractions étaient liées au sein de l'article 331 et étaient toutes deux punies de la réclusion,
la loi du 28 avril 1832 les distingue :
Article 332 du Code pénal :
Quiconque aura commis le crime de viol sera puni des travaux forcés à temps.
Si le crime a été commis sur la personne d'un enfant au-dessous de l'âge de quinze ans accomplis, le
coupable subira le maximum de la peine des travaux forcés à temps.
Quiconque aura commis un attentat à la pudeur consommé ou tenté avec violence contre des individus
de l'un ou de l'autre sexe, sera puni de la réclusion.
Si le crime a été commis sur la personne d'un enfant au-dessous de l'âge de quinze ans
accomplis, le coupable subira la peine des travaux forcés à temps.
La pénalité du viol est aggravée, celle de l'attentat à la pudeur reste la même, mais il est précisé
que celui-ci doit avoir été « consommé ou tenté contre des individus de l'un ou l'autre sexe ».
Le viol ne peut concerner donc a contrario que les femmes et la jurisprudence établit qu'il ne
peut s'agir plus précisément que d'un acte de pénétration vaginale. Par ailleurs, la différence
entre les deux incriminations est, selon la doctrine, qu'en théorie la finalité du viol est la jouissance
sexuelle, alors que la finalité de l'attentat à la pudeur, pas nécessairement. La question de
l'application de la qualification d'attentat à la pudeur pour des actes homosexuels a été posée à
la doctrine :
Cette doctrine reçoit son application à tous les attentats à la pudeur, et par conséquent
aux attentats commis entre les personnes du même sexe : la loi n'a fait aucune distinction ;
53. Proust M., À la recherche du temps perdu, Albertine disparue, tome 7, Folio, Paris, 1972, p. 365.
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