Revue Droit & Littérature N°5-2021 - 143

Le thème
ne lui permirent pas d'offrir au violoniste, celui-ci eût refusé en pensant à la réputation artistique attachée à son nom de
Morel et aux commentaires qu'on eût faits à " la classe " »105
.
Apparaît clairement la tactique de Charlus pour que le nom de Morel soit abandonné par
celui-ci : soit faire changer le nom de Morel en celui de Charmel, uniquement, soit adopter Morel,
ce qui permettra à celui-ci de prendre titres et noms de Charlus de Guermantes.
Le narrateur ne se préoccupe guère de savoir juridiquement comment cela est possible.
Pourtant, la loi du 6 Fructidor de l'an II (23 août 1794), applicable à l'époque de La Recherche, et
toujours en vigueur aujourd'hui, est parfaitement claire : aucun citoyen ne pourra porter de nom
ni de prénoms autres que ceux exprimés dans son acte de naissance.
La demande de changement de nom, qui a toujours été compliquée, est soumise de nos jours
à une procédure encore complexe. Il faut former la demande auprès du garde des Sceaux, qui
doit l'autoriser par décret. Cette demande nécessite de justifier d'un intérêt légitime ou a pour
fin d'éviter l'extinction du nom porté par un ascendant ou un collatéral du demandeur jusqu'au
quatrième degré106
. La jurisprudence administrative a évolué, - tenant compte de la position de la
Cour EDH -, et admet depuis quelques années que des motifs d'ordre affectif peuvent, dans des
circonstances exceptionnelles, caractériser l'intérêt légitime requis par le texte pour déroger aux
principes de dévolution et de fixité du nom établis par la loi107
avec souplesse, incluant, et pourquoi pas, à titre exceptionnel, les changements profonds de sentiments
d'affection...
Pour l'adoption, laquelle n'était possible à l'époque de La Recherche qu'entre personnes majeures,
les règles d'attribution du nom de l'adopté ont évolué au cours du temps. Pour faire simple,
nous dirons simplement qu'en présence d'une adoption simple (ce qui est nécessairement le cas
d'une adoption d'un majeur), il n'y a pas rupture avec la famille d'origine, l'enfant étant rattaché
à deux familles : l'article 363 du Code civil met en place des règles d'attribution du nom destinées
à traduire cette double appartenance. L'adoption simple confère le nom de l'adoptant à l'adopté,
en l'ajoutant à ce dernier. Les possibilités de choix sont les mêmes que pour les autres enfants
(quadruple option). Il peut aussi selon la jurisprudence porter le nom de l'adoptant en premier.
En cas d'adoption par une personne seule, la règle est la suivante : « Le nom conféré à l'adopté
résultera de l'adjonction du nom de l'adoptant à son propre nom dans la limite d'un nom pour
chacun d'eux ». Bref, il ne serait pas gagné que Morel puisse ne porter que le nom du baron de
Charlus, cela d'autant plus que maintenant, en cas d'adoption d'une personne majeure, l'adopté
peut refuser l'adjonction du nom de l'adoptant (cela par souci de protection de la vie privée).
Une évolution conduisant à rattacher le nom à la personnalité permettrait d'ouvrir plus largement
le changement de nom de famille. Au moment de la Révolution française, le principe
105. M. Proust, Sodome et Gomorrhe, Gallimard, (1921-1922) éd. Folio 2018, p. 449.
106. Art. 61-3-1 C ; civ. issu de la n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du xxie
siècle. Signalons aussi
le relèvement du nom des citoyens morts pour la France prévu par la Loi du 2 juillet 1923 perpétuant le nom des citoyens morts pour
la Patrie.
107. Pour un exemple récent : CE, 10 juin 2020, requête n° 419176.
Droit & Littérature - Numéro 5 143
. Ce critère pourrait être apprécié

Revue Droit & Littérature N°5-2021

Table des matières de la publication Revue Droit & Littérature N°5-2021