Revue Droit & Littérature N°5-2021 - 152

Le thème
droit en tant que tel est en revanche absent. Il faut dire que, si le père de Jean a été magistrat,
« le droit ennuyait Jean », qui est « refusé à son premier examen »18
qui ne pousse pas plus loin que la licence ses études de droit19
, comme il a ennuyé Proust,
... Dans La recherche, et bien que
Jean Santeuil ait contribué à alimenter À la recherche (où Bloch, intellectuel juif, est la transposition,
à plusieurs années de distance, de Jean Santeuil : comme lui, il passe, la journée, beaucoup de
temps aux audiences ; comme lui, il discute beaucoup du procès, le soir, au restaurant20
), la distance
avec l'Affaire paraît plus grande : elle est, pour le narrateur, à la fois présente (puisqu'il
relate des faits antérieurs à 1905) et passée (ce qui lui permet d'entretenir avec elle une certaine
distance), et Proust ne s'y intéresse au fond qu'à raison du fait qu'elle lui permet de s'interroger
sur la condition humaine et sur la société, comme si évoquer l'Affaire permettait d'envisager
des vérités humaines et sociales beaucoup plus générales, qui la dépassent en tant qu'événement
singulier. Dit autrement, il ne faut pas espérer faire l'histoire de l'Affaire à la manière des historiens en
prenant pour matériaux ce qu'en dit Proust dans La Recherche, parce que tel n'est pas son objet :
« Proust's references to Dreyfus and the events and people surrounding his condemnation do
not... give us a chronology or overview of the event and its aftermath »21
l'Affaire, Proust choisit de l'intégrer comme un évènement historique majeur, non pas seulement
au point de vue général de la construction du récit (l'Affaire constituant à ses yeux un repère
historique admis dans la chrono logie, par exemple, lorsqu'il explique ne pas adhérer aux théories
littéraires « que la critique avait développées au moment de l'affaire Dreyfus... et qui tendaient
à " faire sortir l'artiste de sa tour d'ivoire " »22
de la progression des personnages. Cet événement historique majeur est, également, l'occasion
d'engager une réflexion sur la vérité.
I. L'Affaire et les personnages
Chez Proust, l'Affaire exerce une véritable force active, capable de modifier la société ellemême.
Si la société, « pareille aux kaléidoscopes qui tournent de temps en temps [...] place successivement
de façon différente des éléments qu'on avait crus immuables et compose une autre
figure », explique le narrateur, l'Affaire compte précisément parmi ces moments de bascule :
« ces dispositions nouvelles du kaléidoscope sont produites par ce qu'un philosophe appellerait un
changement de critère. L'affaire Dreyfus en amena un nouveau ». Elle fait partie de ces événements
qui font dire qu'il semble « qu'il y ait " quelque chose de changé en France " ». Or aux yeux
18. Jean Senteuil, op. cit., p. 273.
19. Sur la formation juridique de Proust, cf. L. Depambour-Taride, « Proust et le droit : premières approches », Bulletin d'informations
proustiennes, n° 37, 2007, p. 159-174.
20. À la recherche, éd. La Pléiade, t. ii, p. 234. Mais, à la différence du comportement de Jean, tel qu'il est notamment décrit lors du
procès Zola, celui de Bloch se caractérise par une forme d'agitation et de ridicule. Cette évolution atteste du changement que Proust
lui-même porte sur l'Affaire. Sur ce point, cf. P. Wise, art. précit., p. 24.
21. L.-R. Wilkinson, « The Art of Distinction: Proust and the Dreyfus Affair », MLN, Dec., 1992, vol. 107, n° 5, Comparative Literature
(Dec., 1992), p. 978.
22. À la recherche, op. cit., t. ii, p. 881.
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. Plutôt que de relater
), mais surtout au point de vue de la construction et
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