Revue Droit & Littérature N°5-2021 - 199

Le thème
présente dans une juris prudence ancienne. Le tribunal civil de la Seine a par exemple retenu en
1883 que le don d'un manuscrit, c'est-à-dire le transfert de sa propriété, n'emporte pas le droit
de publier si le donataire n'a pas entendu transmettre les droits de propriété sur l'œuvre8
. Les
méandres du tribunal civil de la Seine font apparaître une figure encore plus obscure : le démembrement
des droits de propriété sur le support d'une œuvre inédite.
Quoi qu'il en soit, on s'égare à trop vouloir rechercher la substance des droits dans la nature des
. L'essentiel devrait être d'assurer la circulation de
choses. La ratio legis du texte vise à encourager la diffusion d'un inédit. Dès lors, la qualité d'original
ou de copie devrait demeurer indifférente9
l'œuvre. Pourtant, celui qui s'empare frauduleusement d'un support pour en réaliser une copie, et
ensuite la diffuser, agit en fraude (nonobstant l'abus de confiance aussi envisageable) et devrait à
ce titre être privé de droite exclusif.
Inconnue ou inédite ?
Une autre difficulté porte sur le caractère inédit de l'œuvre. Que signifie cette condition ? Est-ce
une notion relative ou absolue ? À considérer le caractère inédit comme une condition relative, une
œuvre qui a déjà fait l'objet d'une publication, mais dont il n'existe plus de copie en circulation,
pourrait entrer dans le giron des droits exclusifs du propriétaire du support. Les droits du publicateur
remplieraient alors leur fonction, celle de faire circuler (à nouveau) une œuvre à laquelle nous
n'avions pas ou plus accès. Au contraire, une conception absolutiste conduirait à retenir qu'une œuvre
oubliée ne peut pas donner prise aux droits du publicateur dans la mesure où elle a déjà été rendue
disponible au public. C'est cette dernière conception qu'a retenue la jurisprudence à l'occasion d'un
contentieux assez surréaliste et certainement peu représentatif : celui relatif aux œuvres pariétales de
la grotte Chauvet. Ses inventeurs prétendaient détenir des droits d'auteur en qualité de publicateurs
des œuvres picturales paléolithiques réalisées il y a plus de 30 000 ans. Admettre l'application des
dispositions relatives au droit du publicateur aurait signifié accorder un droit d'interdire la diffusion
des œuvres de la grotte Chauvet pendant 25 ans... Pour rejeter cette demande, la Cour de cassation
n'eut d'autre choix que de tenir un raisonnement délirant : « La grotte (...) était un lieu fréquenté lors de
l'accomplissement de rites et portait les traces d'activités humaines qui s'y étaient exercées pendant des milliers d'années,
comme en attestent les datations au carbone 14, et que les fresques en cause, réalisées à des époques distinctes, sur une
période de près de 5 000 ans, étaient accessibles »10
. Bien que scellée depuis des milliers d'années, la grotte
avait été un lieu ouvert au public : par conséquent, les peintures ne sont pas inédites. Il faut comprendre
pourquoi la Cour de cassation tient ce raisonnement à la limite du ridicule : plutôt que de
créer un principe général de non-appropriation des créations relevant du patri moine commun de
l'humanité, comme le sont les idées ou les formules mathématiques, les juges s'en sont tenus à une
exclusion des droits du publicateur revendiqués par les inventeurs de la grotte.
8. Trib. civ. Seine, 23 août 1883, Aff. de Bérard c. Hébert, Le droit, 24 août 1883, cité par A. Huard et E. Mac, Répertoire de propriété littéraire
et artistique, Marchal et Billard, 1895, p. 64.
9. E. Treppoz, « Nature du droit d'auteur », Juris-Classeur Civil Annexe, fasc. 1130, 2020, n° 39.
10. Cass. 1re
civ., 30 novembre 2016, n° 15-17.301, Comm. com. électr. 2017, comm. 11, note C. Caron ; Propr. intell. 2017, n° 63,
p. 44, obs. A. Lucas.
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