Revue Droit & Littérature N°5-2021 - 201

Le thème
les travailleurs des œuvres inédites ne doivent pas se contenter de restaurer à l'identique l'œuvre
ancienne, mais doivent démontrer l'originalité de leur apport. Bref, ils peuvent prétendre à des
droits pour leur création, mais pas pour la création qu'ils ont contribué à révéler.
Les publicateurs-travailleurs peinent donc en général à obtenir une récompense à leur travail
d'édition de texte ou de restauration. Un contentieux ayant opposé l'éditeur suisse Droz à la société
Classique Garnier illustre cette difficulté. À l'occasion de la publication de textes médiévaux,
le tribunal de grande instance de Paris a retenu que le travail du paléographe s'analyse comme un
travail scientifique lors duquel des choix commandés par des méthodes scientifiques sont réalisés.
Mais il ne s'agit pas d'un travail créatif au sens du droit d'auteur12
. Cette décision avait suscité
l'incompréhension du monde de l'édition de textes anciens : les éditeurs de texte (souvent des
universitaires) n'ont-ils pas mis au service de l'œuvre toute leur industrie et leurs connaissances ?
Mais il s'agit là de la logique du droit d'auteur : les droits exclusifs ne sont pas accordés pour tous
les labeurs. Il faut démontrer un effort créatif personnalisé. En ce sens, les restaurateurs des plans
des jardins du château de Vaux-Le-Vicomte ont été considérés comme des auteurs en raison de
l'apport créatif dont ils ont fait preuve lors de la restauration13
.
Malgré l'apparente logique de ces solutions, le malaise de la jurisprudence à l'égard des restaurateurs
reste palpable. Saisie d'un pourvoi contre un arrêt de Cour d'appel ayant refusé de
reconnaître la qualité d'auteur à un sculpteur ayant réalisé plusieurs centaines de créations lors
de la restauration de deux châteaux, la Cour de cassation louvoie par un arrêt du 9 novembre
1993 entre deux écueils14
: le premier consiste à confondre technique et création comme l'a fait la
Cour d'appel qui avait refusé de reconnaître la qualité d'auteur au motif que le sculpteur s'était
contenté « de puiser dans le répertoire ornemental d'une époque déterminée ». Le sculpteur était alors ravalé
au rang d'exécutant, de technicien. Le second écueil consistait à pécher par l'excès inverse, à
savoir accorder une protection à des œuvres sans réelle originalité. La Cour de cassation tente de
s'écarter de ces deux difficultés en retenant, masquant à peine son malaise que « les copies d'œuvres
d'art plastique jouissent de la protection instituée par le Code de la propriété intellectuelle, dès lors, qu'exécutées
de la main même de leur auteur, elles portent l'empreinte de sa personnalité, malgré le caractère relatif d'une telle
originalité »15
.
Raisonner sur le terrain du droit d'auteur mène à une impasse : ordonner des fragments
d'une œuvre inédite afin de révéler la pensée d'un auteur ne suffit pas à traiter ce travailleur
comme un auteur au sens du droit de la propriété intellectuelle. Autrement dit, le travail d'édition
non-créatif n'est pas reconnu en droit de la propriété intellectuelle. Pourtant, ce travail est
bien souvent nécessaire pour faire sortir une œuvre de l'oubli. Ne faut-il pas dès lors considérer
la personne ayant accompli un travail nécessaire à la publication de l'œuvre inédite comme un
publicateur ?
12. TGI Paris, 27 mars 2014, RG n° 11/01444.
13. TGI Paris, 10 mai 2002, CCE 2002, comm. 112., comm. Ch. Caron.
14. Cass. 1re
15. Cass. 1re
civ., 9 nov. 1993, n° 91-17.061, Bull.
civ., 9 nov. 1993, op. cit.
Droit & Littérature - Numéro 5 201

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