Revue Droit & Littérature N°5-2021 - 213

Variétes
I. La femme-auteur est considérée
comme un auteur
Au xixe siècle, la doctrine des juristes - uniquement des hommes faut-il le souligner ? - est
unanime pour considérer que la femme-auteur, même mariée, doit bénéficier du privilège d'auteur
(A). Les femmes-auteurs, quant à elles, semblent complètement absentes des débats doctrinaux.
Bien entendu, leur opinion ne peut s'exprimer ni dans les travaux parlementaires, ni dans
les Traités sur le droit d'Auteur. En pratique, leur voix s'exprime pourtant, dans leur correspondance
professionnelle, pour réclamer la plénitude de leurs privilèges d'auteurs (B).
A. En principe, la femme-auteur bénéficie du privilège d'auteur
qui dérive de sa qualité d'auteur
S'agissant tout d'abord des juristes, Vivien soulève le premier le problème, devant la Chambre
. Dupin reformule la question : « si la femme se fait auteur, si elle néglige les soins
des députés : « Le mari peut-il disposer du droit exclusif de la femme ; peut-il publier sans son
consentement ? »9
du ménage, si elle se croit appelée à de plus hautes destinées, voilà un manuscrit qui se produit (sic).
Le mari sera-t-il reçu à s'en emparer pour le vendre ? ». Devant la Chambre des députés, tous les
orateurs semblent d'accord sur un seul point - et c'est bien le moins - : le mari ne saurait publier les
écrits de sa femme sans le consentement de cette dernière. En effet, observe Durand de Romorantin,
« le droit de publier est un droit tout à fait personnel, c'est une liberté inhérente à chaque individu,
quel que soit le sexe auquel il appartient ». Mais, au-delà de ce consensus, des controverses
s'élèvent quant à la nécessité du consentement du mari, les députés éprouvant à cet égard le plus
grand mal à dissocier la question de la propriété littéraire de la question de la puissance maritale.
M. Lherbette demande à ce que l'on supprime dans le projet de loi sur la propriété littéraire l'exigence
du consentement du mari. Cette demande est largement rejetée, ce qui réjouit Alphonse Karr
dans ses Guêpes : « Ces messieurs voulaient que la femme de lettres fût placée au-dessus des lois qui
régissent toutes les autres femmes, et peu s'en est fallu qu'il ne fût voté cette monstruosité ».
Dans ses traités, la doctrine en tire les conséquences pratiques. En tant qu'artiste la femme
peut garder l'œuvre entre ses mains tant qu'elle ne la jugera pas suffisamment terminée10
. Cette
9. En 1839, lors de l'exposé des motifs et projet de loi relatif à la propriété littéraire présentés à la Chambre des pairs, M. Boudeau
fait timidement observer qu'il serait préférable de prévoir le droit exclusif de publier l'ouvrage au profit du conjoint survivant,
plutôt qu'au profit de la veuve (Exposé des motifs et projet de loi relatif à la propriété littéraire, présentés à la Chambre des pairs
par M. de Salvandy, Séance du 5 janvier 1839). La modification n'est pas retenue et M. Legat, dans la revue Le censeur fustige
un « oubli injurieux pour les femmes auteurs, dont nous admirons tous les jours les ouvrages ». Il ajoute « si l'on voulait régir la
propriété littéraire, en cas de mariage de l'auteur, par les articles du Code civil, il arriverait que la femme ne pourrait pas traiter,
avec un libraire, de son œuvre, que son génie serait enchaîné quelquefois par la volonté d'un mari ignorant ou capricieux, et
qu'il faut que le droit d'auteur soit protégé d'une manière efficace, puisqu'on le limite injustement (B.-J. Legat, Le censeur, janvier
1839, p. 26).
10. Ainsi Gopper observe-t-il que « la femme mariée peut souvent pallier la plupart des difficultés qui peuvent lui survenir ainsi du
chef de son mari grâce à la revendication qu'elle peut faire des droits moraux appartenant à tout artiste, par exemple du droit de
n'effectuer la livraison de son œuvre qu'en son temps et à son heure, lorsqu'elle s'en déclarera pleinement satisfaite et qu'elle la jugera
Droit & Littérature - Numéro 5 213

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