Revue Droit & Littérature N°5-2021 - 223

Variétes
et n'avoir plus rien à démêler avec elle. Il recopia lui-même le sous-seing et le renvoya signé à sa femme, c'est ainsi
que cette pièce est entre mes mains ».
Françoise essayait d'analyser les informations données par l'avocat et d'en faire un résumé : si
elle comprenait bien, les époux s'étaient mis d'accord par écrit, puis n'étaient plus d'accord si bien
que le document avait été déchiré par l'épouse puis réécrit par l'époux qui avait encore changé
d'avis ! Eh bien, en l'occurrence « souvent homme varie, bien malin qui s'y fie ! » se dit-elle intérieurement.
Sans le savoir, elle avait raison et la suite allait le lui démontrer. Maître Michel de Bourges
continuait sa plaidoirie et dans son historique des relations entre les époux, aborda l'origine de la
saisine de juridiction. En effet, il expliqua, avec de grands effets de manche qui impressionnèrent
les spectateurs... pardon le public, qu'« aux vacances de 1835, Mme Dudevant revint à la maison patrimoniale,
dont elle devait bientôt prendre possession. C'est alors que l'acrimonie de M. Dudevant éclata de la manière
la plus violente. Malgré l'offre maintes fois renouvelée de la part de sa femme de venir habiter cette terre autant qu'il
le voudrait, il ne répondait à ces bons procédés que par des traitements de la dernière hostilité. Il s'en prit d'abord
aux domestiques, en les menaçant de les chasser s'ils faisaient les commissions de Madame, affectant à tout propos
de leur dire en présence de sa femme, de ses enfants, de ses amis et d'autres domestiques : vous n'obéirez qu'à moi,
Madame n'a pas d'ordre à donner ici. Enfin, le 19 octobre, un léger différend s'étant élevé entre lui et sa femme,
à l'occasion de leur fils, il entre dans une colère sans bornes, lui enjoint de sortir de l'appartement, la menace d'un
soufflet, la prend violemment par le bras, et n'est empêché que par les nombreux témoins de cette scène de se porter
aux dernières extrémités ».
Toute la salle se mit à frémir à cette évocation d'une scène qui aurait pu finir en crime, les dernières
extrémités ! Voilà, pourquoi George Sand avait saisi la justice se dit Françoise qui en avait
froid dans le dos. Elle ne put s'empêcher de jeter un regard noir à l'avocat de Monsieur Dudevant,
décidément son client était un sale bonhomme ! Confirmant la conclusion à laquelle toute la salle
était parvenue, Maître Michel de Bourges précisa : « Il n'était plus possible d'espérer un arrangement
amiable. La sûreté personnelle de Mme Dudevant était compromise. Un traité sur lequel Mme Dudevant pouvait
revenir laissait la porte ouverte à des regrets dont la manifestation n'était pas sans danger. Amis et conseils furent
unanimes sur la nécessité de se soustraire à de telles violences par une séparation légale. La demande en fut formée
par requête du 30 octobre 1835 ». L'avocat expliqua ensuite que pendant le cours de la procédure,
des amis tentèrent de rapprocher de nouveau les époux pour les amener à une transaction. Cependant,
indiqua-t-il, « sa cliente ne voulait et ne pouvait trouver de garanties que dans une séparation judiciaire
pendant que l'époux craignait, en cas de défaite, que la liquidation des droits de sa femme ne le privât de toute ressource.
Pour rassurer son époux, Madame Dudevant accepta de partager par moitié avec lui le revenu net de ses biens,
défalcation faite des frais d'éducation des deux enfants et de toutes les autres charges ; la fille serait confiée à la mère
et le fils resterait au collège jusqu'à la fin de ses études en partageant son temps de vacances entre son père et sa mère.
Ces concessions n'étaient faites qu'à la condition que la séparation serait judiciairement prononcée ». Il ajouta que
la procédure suivit donc son cours et l'époux quitta le château de Nohant et démissionna de ses
fonctions de maire de cette commune si bien que l'épouse pensait que le traité était exécuté par
ce dernier ; parallèlement la procédure suivait son cours jusqu'à ce que Monsieur Dudevant fasse
opposition le 14 avril aux deux décisions rendues. Maître Michel de Bourges prit une profonde
respiration et asséna : « Maintenant, pourquoi vient-on nous citer, pour faire annuler l'enquête, les articles 269,
275, 155, etc....du Code de procédure civile ? Je ne connais pas tous ces articles, mais je connais une loi qui est
écrite dans tous les cœurs honnêtes : c'est elle qui oblige tout homme, lorsqu'il a engagé sa parole fût-ce même avec
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