Revue Droit & Littérature N°5-2021 - 230

Variétes
de l'individu sur l'arbitraire7
, ne doit cependant pas faire oublier les autres « tracasseries » auxquelles
; il est ensuite emprisonné
puis contraint
il fut confronté. Elles ne manquent pas : accusé à Paris de tentative d'avortement, il échappe de peu
à la prison après avoir acheté le témoignage de sa principale accusatrice8
à For-l'Évêque, après que son avocat a gardé par-devers lui la somme d'argent qui devait servir à
sa défense9
condamné à voir ses biens vendus et à être enrôlé de force dans l'armée10
il est accusé d'avoir voulu défigurer une jeune fille qui se refusait obstinément à lui11
à la fuite pour une histoire de lettre de change impayée12
. Tant de désillusions judiciaires l'incitent à
avoir une confiance assez limitée dans la justice et dans ses auxiliaires : mieux vaut un puissant protecteur,
ou beaucoup d'argent, pour échapper aux procès et à la justice souvent expéditive. Il nous
semble cependant que le rapport de Casanova au droit ne s'arrête pas aux passages caustiques qu'il
consacre aux hommes de loi. Casanova est trop subtil pour les confondre avec le droit. En réalité,
son rapport au droit est plus intime que l'ironisation des juges à laquelle il se livre13
. Casanova ayant
étudié le droit, on peut en effet penser que cet enseignement, fut-il très rapide, lui a laissé quelques
souvenirs lui permettant d'avoir un regard aiguisé, et toujours original, sur les choses juridiques.
Comme beaucoup d'étudiants, Casanova est arrivé aux études de droit un peu par hasard,
encouragé par sa famille qui, l'ayant détourné de sa vocation première pour la médecine, l'incitait
à devenir avocat ecclésiastique. Il avait été inscrit au Collegio Legista de Padoue à douze ans et
demi, pour en sortir docteur en droit quatre ans plus tard, ayant eu comme sujets en droit civil
« les testaments », et en droit canon « les Hébreux peuvent-ils construire de nouvelles synagogues
? »14
. En dépit de cet environnement peu propice
; il est encore arrêté dans le duché de Wurtemberg, après une sombre affaire de jeu, et
. De même à Londres où
. S'il reste discret sur la manière dont étaient délivrés les enseignements, Casanova livre
en revanche de savoureuses informations sur la vie estudiantine, en décrivant les écoliers comme
« les plus libertins, joueurs, coureurs de mauvais lieux, ivrognes, débauchés, bourreaux d'honnêtes filles, violents,
faux, et incapables de nourrir le moindre sentiment de vertu »15
à la découverte de la Grâce, il reçoit pendant son cursus les quatre ordres mineurs et, après avoir
prononcé un sermon qui lui vaut estime et applaudissements, en prononce un second calamiteux,
après un déjeuner trop arrosé, qui le contraint à un premier éloignement forcé de Venise.
Casanova a donc fait des études de droit mais, comme beaucoup d'étudiants de nos facultés
actuelles, n'est pas devenu juriste16
. L'histoire de ma vie est pourtant parsemée d'innombrables
7. Histoire de ma vie, t. 1, p. 915 : « Mon droit me paraissait incontestable, et je raisonnais ainsi en conséquence ; mais ce raisonnement n'avait pas lieu visà-vis
des règles d'un Tribunal qui se distingue de tous les tribunaux légaux de tous les gouvernements de la terre. Quand ce Tribunal procède contre un délinquant,
il est déjà sûr qu'il l'est : quel besoin a-t-il donc de lui parler ? et quand il l'a condamné, quelle nécessité a-t-il de lui donner la mauvaise nouvelle de sa sentence ? ».
8. Histoire de ma vie, t. 2, p. 179 et s.
9. Histoire de ma vie, t. 2, p. 197 et s.
10. Histoire de ma vie, t. 2, p. 272 et s.
11. Histoire de ma vie, t. 3, p. 151 et s.
12. Histoire de ma vie, t. 3, p. 198 et s.
13. J.-Ch. Igalens, Une « aversion invincible » pour les lois, Aspects de l'ironisation du judiciaire chez Casanova, Droit & Littérature,
n° 4, 2020, p. 217 et s.
14. Les historiens n'ont cependant pas retrouvé son nom sur les registres des étudiants admis en deuxième année, ni sur ceux des
docteurs de l'Université. Chronologie, in Casanova, Histoire de ma vie, t. 1, La Pléiade, éd. 2013, p. LVII et LIX.
15. Histoire de ma vie, t. 1, p. 59.
16. Histoire de ma vie, t. 1, p. 59 : il ne regrette pas cette situation et relève que « la chicane ruine beaucoup plus de familles qu'elle n'en soutient, et
ceux qui périssent des mains des médecins sont beaucoup plus nombreux que ceux qui guérissent ; ce qui me paraît prouver que le monde serait beaucoup moins
malheureux sans les uns et les autres ».
230 Droit & Littérature - Numéro 5

Revue Droit & Littérature N°5-2021

Table des matières de la publication Revue Droit & Littérature N°5-2021