Revue Droit & Littérature N°5-2021 - 237

Variétes
Dans notre pays, la justice ne se croit pas maîtresse de condamner quelqu'un sans lui faire savoir son crime. Vous
êtes accusé, et l'accusation est appuyée par deux témoins, de vouloir balafrer la figure d'une fille. C'est elle qui
demande à la justice d'être garantie de cet outrage, et la justice doit l'en garantir, vous condamnant à la prison »38
.
Fournissant à son tour deux témoins pour démontrer que l'accusation était calomnieuse, il sera
finalement libéré.
Ces deux affaires rappellent le caractère expéditif de la justice pénale, à l'époque où existaient
en France les lettres de cachet. Casanova ne s'en plaint pourtant pas, lui qui ne comprendra
jamais la Révolution. Contraint par une lettre de cachet de quitter la France en 1767,
à la suite d'une altercation publique avec un neveu de Madame d'Urfé, il ne s'apitoie pas sur
son sort mais sur celui du pays qu'il aime tant : « Oh ! ma chère France, où tout dans ce temps-là allait
bien, malgré les lettres de cachet, les corvées, et la misère des paysans, et le bon plaisir du roi et des ministres,
qu'es-tu devenue aujourd'hui ? Ton roi est le peuple. Le plus brutal, le plus fou, le plus indomptable, le plus
coquin, le plus inconstant, le plus ignorant de tous les peuples. Mais tout retournera peut-être à sa place avant
que je ne finisse d'écrire ces mémoires, en attendant, Dieu veuille bien me tenir loin de ce pays-là frappé par son
anathème »39
.
Par-delà ces considérations générales, Casanova avoue sa préférence pour la transaction lorsqu'elle
est possible tout en se montrant déterminé, et toujours sûr de son bon droit, quand le
procès ne peut être évité.
La transaction
On se souvient des réserves de Casanova à l'égard de la chicane. Un mauvais arrangement
vaut toujours mieux qu'un bon procès. Il illustre cet adage, lorsque, avoir fait fortune à Paris dans
une manufacture de soie, il se voit contraint d'en vendre les parts à Garnier. L'argent versé par
Garnier disparaît cependant, sans doute avec complicité, et ce dernier réclame encore cinquante
mille livres à Casanova. Alors que son avocat était un « fourbe qui l'assurait tous les jours que son procès
était imperdable », Casanova est emprisonné. Madame d'Urfé dépose des titres d'une valeur de cent
mille livres au greffier de For-l'Évêque. Casanova est donc libéré mais le procès va se poursuivre
entre Garnier et Mme d'Urfé. « Dégoûté de Paris », Casanova souhaite entreprendre un voyage en
Hollande pour se remettre en fonds, mais il souhaite avant cela régler ses affaires et ne pas laisser
Madame d'Urfé dans l'embarras d'un procès contre Garnier. Il engage donc l'abbé de Laville
pour « devenir médiateur d'un accommodement ». Casanova raconte comment la médiation aboutit :
« Quand (Garnier) apprit que j'allais partir pour, peut-être, ne plus retourner à Paris et qu'il ne pouvait pas me
l'empêcher, il prévit que la marquise d'Urfé le chicanerait au point qu'elle traînerait l'affaire en longueur tant qu'elle
voudrait, et gagnerait peut-être le procès... Il me répondit pour son dernier mot qu'il voulait vingt-cinq mille livres,
ou qu'il plaiderait jusqu'à la mort. Je lui ai répondu qu'il trouverait la somme chez le notaire de Mme d'Urfé, après
qu'il aurait délivré la caution au greffe de For-l'Evêque »40
.
38. Histoire de ma vie, t. 3, La Pléiade, p. 151.
39. Histoire de ma vie, t. 3, La Pléiade, p. 430
40. Histoire de ma vie, t. 2, La Pléiade, p. 201.
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