Revue Droit & Littérature N°5-2021 - 263

Variétes
suggérée (parce que sans doute moins revendiquée), certaines réflexions, certains courants doctrinaux
ou même plus simplement la « méthode » qu'il est recommandé de suivre rendent compte
de sa persistance dans le discours du droit. Cela se vérifie à un double niveau : celui d'abord de
la réflexion juridique (A), celui, ensuite, de l'enseignement supérieur (B) (mon travail se limite au
cas français).
A. De la « méthode » des comparatistes
Le droit comparé a longtemps souffert du même désamour que l'interdisciplinarité aujourd'hui.
Mais son statut a depuis changé. L'évolution est davantage sensible dans les milieux universitaires
où il est considéré comme une discipline à part entière (du moins nous l'espérons). Le constat n'est
pas le même du côté des appareils administratif et judiciaire. Certaines illustrations témoignent
de ce que les réticences nationales sont par endroits tenaces. Il en va ainsi des réactions violentes
déclenchées par la référence faite à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme
par le juge Anthony Kennedy dans l'affaire Lawrence v. Texas41
émoi dix-sept ans plus tôt42
- alors que cela n'avait suscité aucun
. Certains en appelèrent même à sa destitution via la procédure d'impeachment
43. Mais il faut encore préciser que cela est lié au contexte culturel particulier des ÉtatsUnis.
Le débat de la pertinence du recours au droit comparé dans les affaires constitutionnelles y
est particulièrement houleux44
. Tel n'est pas le cas dans d'autres pays de Common Law où le droit
comparé est mieux accueilli. Après l'apartheid, les constituants sud-africains ont par exemple fait le
choix audacieux d'inviter les juridictions à considérer les droits étrangers lorsqu'elles connaissent
du contentieux des droits fondamentaux45
. Le Royaume-Uni s'y était aventuré bien plus tôt et
. Le Parlement britannique avait adopté quelques
. Mais
dans un cadre élargi. L'exemple qui me vient à l'esprit est celui cité par Otto Kahn-Freund dans
un article publié au milieu des années 197046
années plus tôt le Law Commission Act, instituant deux organes (la Law Commission et la Scottish Law
Commission) chargés de réformer le droit britannique et de renforcer sa compétitivité. Pour ce faire,
le texte les soumettait à l'obligation de prendre appui sur d'autres droits. Le succès fut immédiat et
la publication des rapports des deux commissions démontra combien cela était nécessaire47
ce n'est pas tant la conclusion à laquelle on en est arrivé qui m'intéresse - et qui ne souffrait d'ailleurs
pas le moindre doute - que l'utilisation de la notion de " transplantations " , peu banale en droit.
41. Lawrence v. Texas, 539 U.S. 558 (2003).
42. Bowers v. Hardwick, 478 U.S. 186 (1986).
43. Michel Rosenfeld, « Le Constitutionnalisme comparé en mouvement », op. cit., p. 581.
44. Pour des développements sur ce débat particulièrement clivant qui agite la doctrine aux États-Unis, v. Michel Rosenfeld, « Le
Constitutionnalisme comparé en mouvement », in Pierre Legrand (dir.), Comparer les droits, résolument, op. cit., pp. 576-595, A Conversation
Between U.S. Supreme Court Justices, " The Relevance of Foreign Legal Materials in US Constitutional Cases : A Conversation
Between Justice Antonin Scalia and Justice Stephen Breyer " , (2005) 3 International Journal of Constitutional Law 519, Jeremy Waldron,
" Foreign Law and the Modern Ius Gentium " , (2005) Harvard Law R. 129, Daniel A. Farber, " The Supreme Court, the Law of Nations,
and Citations of Foreign Law: The Lessons of History " , (2007) 95 Calif. L. Rev. 1335, Mark Tushnet, " Referring to Foreign Law in
Constitutional interpretation : An Episode in the Culture Wars " , (2006) 35 University of Baltimore Law R. 299.
45. Constitution d'Afrique du Sud, art. 39, §1, " When interpreting the Bill of Rights, a court, a tribunal or forum [...] c. may consider foreign law " ,
cité par Michel Rosenfeld, « Le constitutionnalisme comparé en mouvement », op. cit., p. 562.
46. Otto Kahn-Freund, " On Uses and Misuses of Comparative Law " , Modern Law Review, Vol. 37, No. 1, 1974, pp. 1-27.
47. Id., p. 2.
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