Revue Droit & Littérature N°5-2021 - 302

Variétes
que les romanciers osent s'emparer d'un dossier aussi dramatique. En 1997, Fred d'Aghiar
reprend les éléments du procès et les développe dans Feeding the Ghosts, dont l'argument adopte
le point de vue d'un rescapé hypothétique de la noyade collective. Puis, en 2008, Marlène
Nourbe Philips consacre un recueil de poèmes au Zong, en utilisant les éléments juridiques
développés devant le King's Bench, comme pour la pièce de théâtre An African Cargo de 2007
par Margaret Busby ou encore celle de Krikler, Peril at Sea57
. À chaque fois, dans des genres
littéraires très différents, les auteurs ont fait le choix de prendre appui sur le matériel judiciaire
à disposition, une telle affaire se suffisant à elle-même avec un argument juridique s'avérant
assez dramatique per se.
II. Les passagers sacrifiés : le procès United
States v Holmes58
La lutte entre les survivants d'un naufrage autour d'une chaloupe ou d'une épave est un épisode
récurrent, souvent spectaculaire, de la littérature qui admet le combat pour la survie. Il en
va ainsi dans l'acte v de Peer Gynt où le héros éponyme fait lâcher prise au cuisinier qui essaie
de s'accrocher au canot renversé sans même lui laisser le temps de dire une prière complète.
Un autre exemple célèbre est celui relaté par Gide dans Les Faux Monnayeurs. Dans une mise en
scène décadente pour laquelle elle revêt « un pyjama pourpre lamé d'argent », Lilian Griffith
raconte à son jeune amant Vincent comment elle a survécu au naufrage de La Bourgogne à l'âge
de dix-sept ans. Parvenue à grimper dans une chaloupe, elle détaille comment les matelots ont
tranché à coups de hache « les doigts, les poignets de quelques nageurs qui, s'aidant de cordes,
s'efforçaient de monter sur notre barque ». Un des marins en explique calmement la nécessité.
Les auteurs se contentent de la précision accablante des faits bruts, sans porter de jugement
moral, laissant aux juristes le soin de trouver une responsabilité. Sans jurisprudence à commenter
ou à laquelle se raccrocher, la doctrine fut longtemps en désaccord. Commentant l'homicide
justifiable dans son Treatise of the Pleas of the Crown, Hawkins admet la nécessité dans le cadre de
la planche de Carnéade59
. Bacon est du même avis dans la Regula V de ses Maxims of the Law.
. Blackstone est hésitant. Il
Mais Mathew Hale, son contemporain, admet seulement la légitime défense et refuse l'excuse
de nécessité en cas d'homicide, quelles que soient les circonstances60
57. Universitaire historien, Krikler a écrit cette pièce en marge de ses travaux universitaires sur l'affaire du Zong, J.-M. Krikler, (2012).
« A Chain of Murder in the Slave Trade: A Wider Context of the Zong Massacre », International Review of Social History, 57 (03), 2012,
p. 393-415 ; « The Zong and the Lord Chief Justice » History Workshop Journal, 64 (1), 2007, p. 29-47.
58. US v. Holmes, 26 Fed. Cas. 360.
59. W. Hawkins, Treatise of the Pleas of the Crown, 1716, liv. i, chap. x, « Of justifiable homicide », sect. 26 : « Secondly, Also the killing of an innocent
person in defence of a man's self, is said to be justifiable in some special cases ; as if two be shipwrecked together, and one of them get upon a plank to save
himself, and the other also, having no other means to save his life, get upon the same plank, and finding it not able to support them both, thrust the other from it,
wherbey he is drowned, it seems that he who thus preserves his own life at the expense of that another, may justify the fact by the inevitable necessity of the case ».
60. M. Hale, Historia placitorum coronae, London, éd. 1800, p. 50 : « Again, if a man be desperately assaulted, and in peril of death, and cannot
otehrwise escape, unless to satisfy his assailant's fury, he will kill an innocent person then present, the fear and actual force will not qcquit him of the crime and
punishment of murder, if he commit the fact ; for he ought rather die himself, than kill an innocent ».
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