Revue Droit & Littérature N°5-2021 - 369

RECENSIONS
Le Code
en toutes lettres.
Écriture
et réécritures
du Code civil
au xixe
siècle,
Marion Mas
et François Kerlouégan (dir.)
Classiques Garnier, « L'esprit des lois,
l'esprit des lettres », 2020.
Le Code civil, considéré dès sa promulgation comme
un puissant outil normatif mais également comme
un modèle de rhétorique, a donné lieu au cours du
premier xixe
pastiché le style ou transposé la forme1
siècle à nombre de réécritures qui en ont
. Ses articles,
parce qu'ils explorent et anticipent un vaste répertoire
de situations, ont aussi inspiré des œuvres de fiction
qui en ont exploité le potentiel narratif et leur ont emprunté
des éléments de leur diégèse. Le Code est ainsi
devenu, tout au long du xixe
siècle, un terrain d'études
pour les juristes en même temps qu'un objet littéraire.
Par sa forme, il allait conforter le goût de l'époque pour
les classements et la taxinomie qui traversait alors tous
les champs du savoir ; par son contenu, il devait nourrir
l'intérêt nouveau de la littérature pour des « scènes
de la vie privée » qui ne se cantonnent plus à l'exploration
de la sensibilité individuelle mais éclairent l'emprise
du droit sur la sphère intime et familiale.
Plusieurs études ont déjà abordé ces questions séparément
- ainsi sur l'empreinte du Code dans l'œuvre
de tel ou tel écrivain, sur ses réécritures littéraires et
la véritable « codimanie » qui caractérise le premier
quart du xixe
siècle2
, ou sur la langue du Code, réputée
claire et accessible. Aucune cependant n'avait
1. Le Code est ainsi mis en vers dès 1805 par Joseph Henri
Flacon ; puis en 1811 par Benoît-Michel Decomberousse.
2. Voir à ce sujet : Anne Teissier-Ensminger, La Fortune esthétique
du Code civil, Paris, La Mémoire du droit, 2004.
encore associé ces différentes approches, et c'est l'un
des tours de force du livre publié sous la direction de
Marion Mas et François Kerlouégan que d'explorer le
Code civil à la fois dans ses dimensions rhétoriques
et normatives, et comme ferment d'un imaginaire
littéraire. L'ouvrage, tiré d'une journée d'étude interdisciplinaire
organisée le 12 février 2015 à l'Université
Paris-Diderot, démontre, si besoin était encore,
la fécondité du dialogue entre droit et littérature, largement
mise en valeur par la qualité du travail éditorial
mené par Marion Mas et François Kerlouégan.
Les contributions sont en effet accompagnées
d'un index et d'une utile bibliographie classée par
champs disciplinaires, et introduites par une remarquable
préface. Les auteurs de l'ouvrage proposent
d'emblée un balisage dense et synthétique des différentes
interactions entre le Code civil et la littérature,
que celle-ci renvoie à la langue elle-même et
aux questions stylistiques, au travail de l'exégèse et
du commentaire qui ont contribué à la diffusion du
Code civil, ou aux représentations du droit au sein
du récit de fiction. S'appuyant sur des exemples précis,
Marion Mas et François Kerlouégan soulignent
notamment les singularités de cette juslittérature
inspirée du Code civil. Loin de l'éclat tragique des
récits de faits divers et de procès relevant du Code
pénal, ces œuvres de fiction témoignent en effet
d'une judiciarisation des existences ordinaires et
d'un nouveau genre de fatum, celui des articles du
Code civil qui codifient désormais les étapes d'une
vie humaine, de la naissance à la mort. Décelant la
tension narrative que recèlent certains de ces articles,
alors même qu'y sont traitées des situations
quotidiennes et parfois triviales, les écrivains ont pu
faire du Code un moteur de leur récit. Ainsi l'intrigue
peut-elle se nourrir de la tension entre les pulsions
individuelles et l'idéal de concorde sociale portée
par le texte de loi ; ou encore, dans une perspective
critique, mettre en scène la contradiction entre
les aspirations légitimes de certains personnages et
les valeurs, masculines et bourgeoises, du Code de
1804 - la littérature contribuant alors aux controverses
qui sont au cœur du jeu politique.
La première partie des contributions réunies par
Marion Mas et François Kerlouégan porte sur la diffusion
du Code civil, rendue possible par son style,
supposément clair et accessible, mais aussi par la
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