Revue Droit & Littérature N°5-2021 - 375

RECENSIONS
la « femme convaincue d'adultère » encourait une
peine d'emprisonnement de trois mois à deux ans,
alors que le mari risquait seulement d'être condamné
au paiement d'une amende, et à la condition expresse
d'avoir « entretenu une concubine dans la maison
conjugale » (ancien article 339 du Code pénal)42
.
L'effet d'étrangeté s'estompe. Pénalisation de
l'adultère, différenciation de la répression au détriment
des femmes : du point de vue légal, le monde
de « La Femme dénudée » ressemble à la France
des années 1970. L'écart entre la réalité et la dystopie
est quasi nul. Le temps a fait son office, la législation
a évolué, mais le lecteur moderne ne doit pas
oublier que ce qu'a imaginé Christopher Priest correspondait
à l'esprit du droit français de l'époque.
Première leçon.
II. « Sa punition : la liberté
surveillée »
6. Mise à l'épreuve. Présenter le monde à l'envers
peut être un moyen efficace de critiquer la réalité43
.
Ce n'est pourtant pas la perspective retenue par
Christopher Priest. Dans « La Femme dénudée »,
la relation causale classiquement exigée entre
l'infrac tion et la sanction pénale n'est pas inversée :
c'est bien parce qu'un crime a été commis qu'une
peine est prononcée44
. L'orthodoxie juridique est
sauve. De même, la punition infligée à la femme
dénudée est-elle familière : la liberté surveillée
(« probation »). En application de ce mécanisme
d'origine anglo-saxonne, le condamné est placé
« sous un régime de liberté assistée pendant une
période d'épreuve »45
. C'est exactement ce que
42. V. à cet égard J. Pradel et M. Danti-Juan, Manuel de droit
pénal spécial. Droit commun - Droit des affaires, Cujas, 2014,
6e
éd., n° 553, p. 373.
43. V. par ex., sur la rhétorique du monde à l'envers, N. Loraux,
« La guerre civile grecque et la représentation anthropologique
du monde à l'envers », in La Tragédie d'Athènes. La
politique entre l'ombre et l'utopie, Le Seuil, 2005, p. 62.
44. V. les remarques de J. Carbonnier, « La peine décrochée
du délit », in Mélanges offerts à Robert Legros, éd. Université de
Bruxelles, 1985, p. 23.
45. R. Merle et A. Vitu, Traité de droit criminel, Cujas, t. 1, 6e
éd.,
1988, n° 824. V. aussi A. F. Sorour, « Fondement et caractères
juridiques de la probation », Revue de science criminelle et de
droit pénal comparé, 1966, n° 1, p. 15 et s. ; J. Pinatel, Traité de
droit pénal et de criminologie. Tome III : Criminologie, Dalloz,
2e
éd., 1970, n° 347.
46. V. Ch. Priest, « La Femme dénudée », op. cit., p. 79.
47. Ibid.
48. Ibid., p. 80.
49. Ibid., p. 83 : « - Votre nom ? - On m'appelle Maîtresse L...
- C'est bon. Vous êtes la suivante », ainsi que p. 84 : « - La cour
d'appel siège pour écouter l'exposé des faits concernant la
femme actuellement appelée Maîtresse L... Que l'appelante
s'identifie. - Je suis Maîtresse L... ».
50. Comp. Ch.-N. Robert, L'Impératif sacrificiel. Justice pénale :
au-delà de l'innocence et de la culpabilité, Éditions d'en bas,
1986, p. 59 et s.
51. V. Ch. Priest, « La Femme dénudée », op. cit., p. 81.
52. Ibid., p. 77.
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Christopher Priest décrit dans sa nouvelle. Pendant
une période dite « probatoire », la femme adultère
ne peut paraître en public sans se dénuder. En
cas de non-respect de cette injonction, sa peine
devient permanente46
. Mais il faut bien continuer
à vivre. La femme dénudée met donc en place des
stratégies pour s'accommoder au mieux de son
sort pénal : rester cloîtrée et commander sa nourriture
par téléphone47
pour mini miser les risques d'agression48
, se réfugier à la campagne
. Le familier
laisse place à l'étrange, à l'inquiétant.
La femme dénudée n'est pas seulement mise à
l'épreuve ; elle perd également son identité. La voilà
renommée « Maîtresse L... ». Double perte d'identité
d'ailleurs : par le titre humiliant qui lui est attribué, et
en raison de la pudeur du narrateur qui la maintient
dans l'anonymat des points de suspension. Ce nouveau
sobriquet est un stigmate : il exhibe la culpabilité
de cette femme aux oreilles de tous49
. Elle n'est
plus reconnue que par sa faute.
7. Mise à nu. La même logique est à l'œuvre dans la
nudité qui lui est imposée. Le corps nu rend la faute
visible et la coupable immédiatement repérable50
.
La peine singularise dans un monde où se fondre
dans le groupe est essentiel51
. Elle singularise et elle
humilie. À l'issue de sa période probatoire, la femme
dénudée ne souhaite qu'une seule chose : « abréger
la douleur et l'humiliation que lui valait l'étalage
obligatoire de sa faiblesse morale »52
.
Que la peine provoque un sentiment de honte
chez le condamné ne doit pas étonner : même
dans une société démocratique, l'humiliation peut
être une fonction attribuée à la peine, une fonction
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