Revue Droit & Littérature N°5-2021 - 376

RECENSIONS
souhaitable et souhaitée53
. Le « caractère infamant »
de la sanction pénale « reflète en effet la réprobation
sociale qui s'attache à la conduite du délinquant »54
.
De nouveau, le monde de « La Femme dénudée »
ressemble au nôtre. Plus que le lecteur ne l'imagine,
sans doute. Dans la France du Moyen-Âge en
effet, de nombreuses coutumes (dans le Lyonnais, le
Dauphiné, en Guyenne, en Béarn ou encore dans le
Languedoc) prévoyaient des « courses indécentes » :
ceux qui étaient reconnus coupables d'adultère
devaient courir nus à travers la ville55
. En Angleterre,
l'épouse infidèle était dénudée jusqu'à la ceinture et
frappée de verges, de ville en ville, jusqu'à la mort56
.
La réalité a précédé la fiction, Christopher Priest
réactualise une histoire peut-être oubliée.
8. Forme de procès. L'écrivain anglais consacre
en outre de nombreuses pages à la description de
la procédure de révision de la condamnation. C'est
une procédure singulière, qui combine pratiques
exotiques et respect des droits de la défense.
Les poursuites débutent sans gloire : la suspecte
est arrêtée sur la base d'une dénonciation, l'un de
ses « amis » l'a trahie. Au tribunal, les témoignages
à charge ont été faits en secret - « privilège du
mâle »57
dée affronte six mois de « période probatoire »58
. Placée en liberté surveillée, la femme dénu.
53.
V. en ce sens la théorie de la honte réintégrative de John
Braithwaite développée dans son ouvrage Crime, shame and
reintegration, Cambridge University Press, 1989, et qui oppose
« reintegrative shaming » et « disintegrative shaming », la première
associant humiliation et efforts de réintégration du
délinquant dans la communauté, la seconde favorisant la stigmatisation
du délinquant (op. cit., pp. 100-101). V., sur cette
théorie, R. Gassin, S. Cimamonti et Ph. Bonfils, Criminologie,
Précis Dalloz, 7e
éd., 2011, n° 256, p. 216 ; P. Morvan, Criminologie,
LexisNexis, 2013, n° 107, p. 104.
54. R. Merle et A. Vitu, Traité de droit criminel, op. cit., n° 610.
V. aussi F. Tricaud, L'accusation. Recherche sur les figures de
l'agression éthique, Dalloz, coll. Philosophie du droit, 1977,
p. 136 et s.
55. V. F. Mitton, Les Femmes et l'Adultère, Éd. Daragon, Bibliothèque
du vieux Paris, 1910, p. 188 et s. ; L. Verdon, « La course
des amants adultères. Honte, pudeur et justice dans l'Europe
méridionale du xiiie
siècle », Rives méditerranéennes, 2008,
n° 31, p. 57 et s.
56. V. A. de Saint-Priest, Encyclopédie du dix-neuvième siècle,
Imprimerie Duverger, t. 1, 1838, p. 470. V. aussi F. Mitton,
Les Femmes et l'Adultère, op. cit., p. 196.
57. Ch. Priest, « La Femme dénudée », op. cit., p. 79.
58. Ibid., p. 77.
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Vient le temps de la marche. À la fin de sa mise
à l'épreuve, la condamnée peut se présenter au
bureau de probation. De là, elle doit parcourir, à
pied, les cinq kilomètres la séparant du palais de
justice. À pied, et dénudée bien sûr. C'est la procédure
à suivre pour essayer d'obtenir un « recours
en grâce »59
. Est-ce un traitement scandaleux, indigne
des standards démocratiques ? Force est de
relever que, même dans cette société étrange, il
est possible d'exercer un recours (« appeal ») devant
un tribunal. Toutes les garanties procédurales
ne sont donc pas niées. De plus, Christopher
Priest joue avec l'étymo logie du mot « procès » :
qu'est-ce qu'un procès, sinon un processus,
c'est-à-dire, littéralement, une marche en avant ?
La femme dénudée n'est pas privée de procès,
regardez-la marcher.
La déambulation n'est pourtant pas sans péril : si
jamais la condamnée s'écarte de sa route, « en fait ou
en intention »60
, elle perd son droit de recours et la
période probatoire peut indéfiniment se prolonger.
Or, elle est contrainte de louvoyer entre les groupes
d'hommes qui la scrutent, la suivent, la jaugent61
soutenue pendant sa période probatoire, l'escorte
néanmoins discrètement.
Vient alors le temps de l'audience. Dans la salle du
palais de justice, la femme dénudée doit s'identifier63
.
Elle dispose - point remarquable - de l'assistance
d'un avocat64
. L'examen de son recours suppose
qu'elle confesse, sous serment et dans le détail, ses
fautes65
. Au
surplus, c'est seule qu'elle doit se rendre au tribunal,
c'est « une des règles de la loi »62
. Son frère, qui l'a
. Son explication est ensuite comparée aux
témoignages à charge. En cas de divergences, elle
devra se justifier lors d'un contre-interrogatoire.
Le principe du contradictoire n'est ainsi pas totalement
ignoré. Si la cour n'est pas convaincue de
l'authenticité de sa confession, l'appel est rejeté et
la nudité forcée perdure66
. Si elle est convaincue,
59. Ibid.
60. Ibid., p. 78.
61. Ibid., pp. 79, 80 à 82.
62. Ibid., p. 82.
63. Ibid., p. 83.
64. Ibid., p. 84.
65. Ibid.
66. Ibid., p. 85.
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