Revue Droit & Littérature N°5-2021 - 385

RECENSIONS
Marcel Proust
et la politique
Une conscience
française
Gérard Desanges
Paris, Classiques
Garnier,
Bibliothèque
proustienne, 2019,
488 pages.
C'est un ouvrage d'une grande densité que Gérard
Desanges a consacré aux rapprochements entre
Proust et la chose politique dans la belle Bibliothèque
proustienne de la collection Classiques des
éditions Garnier.
Si Proust affirma à la fin de sa vie ne pas s'occuper
de politique et ne s'en être « jamais occupé à
moins qu'on appelle s'occuper de politique avoir il
y a 25 ans signé une liste pour la révision du procès
de Dreyfus » (25 novembre 1921, Correspondance,
T. xx, p. 530, cité p. 15), le cœur de l'approche
de Gérard Desanges est de montrer que toute sa
vie il ne put en quelque sorte y échapper tant par
son parcours, ses relations, ses fréquentations, en
dépit du refus constant de Proust d'appartenir à un
groupe quel qu'il soit (social, politique, intellectuel,
littéraire). C'est ainsi que même dans ses rapports
avec Barrès, Proust parvient à faire abstraction des
positions politiques de ce dernier pour admirer son
œuvre littéraire (conformément à sa doctrine Contre
Sainte-Beuve), même s'il ne lui pardonnera jamais,
toute sa vie durant, de ne pas avoir été dreyfusard
et qu'il juge « ridicule » « l'idée d'un art populaire
comme d'un art patriotique » (p. 103) à la différence
du nationaliste croyant fermement que « l'artiste
doit avant tout servir la gloire de sa patrie » (p. 103).
Gérard Desanges offre en tout état de cause un singulier
portrait de Marcel Proust par le truchement
d'un parcours à la fois chronologique, sur le plan
personnel (la politique du côté de la famille des Weil,
la politique du côté des Proust, les études en droit
et à Sciences Po) comme national (les scandales de
la IIIe
République), thématique (les maîtres à penser,
les salons, la presse, l'affaire Dreyfus, l'armée, le fait
religieux, la guerre, l'affaire Calmette-Caillaux...)
et même géographique (l'actualité internationale ;
Proust vu de l'étranger...), ainsi que d'autres entrées
plus périphériques par rapport à l'objet (les femmes
par exemple, même si l'auteur propose un récapitulatif
intéressant sur l'inégalité avec les hommes légalement
entérinée, notamment en matière de droit
de vote, de divorce, de patrimoine).
Parmi tous ces sujets, presque tous peuvent retenir
l'attention des juristes.
L'affaire Dreyfus d'abord, qui fournit le lien le plus
évident avec la matière juridique en raison des
nombreux procès qui l'ont ponctuée, partiellement
évoqués dans Jean Santeuil et plus erratiquement
et implicitement dans La Recherche, est traitée de
manière exhaustive par l'auteur (pp. 249-280) tout
comme dans la présente revue. Il est donc plus pertinent
de s'intéresser aux autres ouvertures, moins
souvent traitées, qu'offre l'ouvrage Proust et la
politique.
Ainsi, moins connue aujourd'hui, et surtout en lien
avec Proust, est l'affaire Calmette-Caillaux. Elle le
toucha en raison de ses relations d'amitié avec le
directeur du Figaro et parce que Labori (l'avocat
de Dreyfus et Zola) a obtenu l'acquittement de
Mme Caillaux qui risquait pourtant la peine de mort
pour l'assassinat de Calmette. Son époux, alors Président
du Conseil, dont Proust admirait le pacifisme,
dut évidemment immédiatement démissionner.
L'étrange destin de cet homme politique ne s'arrêta
pas pour autant là comme le rappelle Gérard
Desanges qui insiste peut-être de manière exagérée
sur l'intuition politique de Proust (p. 362) qui aurait
prévu contre toute attente la renaissance politique
de Caillaux lequel après avoir été condamné pour
trahison à la fin de la première Guerre Mondiale, fut
élu sénateur et nommé vice-président du Conseil.
C'est la défense par le même célèbre avocat dans des
scandales ultérieurs, qui choqua Proust en particulier
s'agissant de l'affaire Humbert, nom du député,
ministre de la justice, vice-président du Sénat, dont
la femme avait monté avec l'aide de ce dernier une
Droit & Littérature - Numéro 5 385
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