Revue Droit & Littérature N°5-2021 - 63

Le thème
tive peut se décliner en « norme juridique positive » (loi, règlement, coutume), « norme sociale
juridique » (droit vulgaire, règles de jeux, droit enfantin) et « norme sociale non juridique » (règle
de mœurs, règles de politesse et de bienséance). C'est dans cette dernière que résiderait l'attrait
de la loi proustienne.
Le Narrateur de la Recherche décrit ainsi « des groupes (de taille réduite) se développant autour
. Un cas topique nous est délivré
de certains dogmes ou de codes qui leur donnent leur unité. Souvent, c'est à travers l'imitation
que se forme le groupe, en imposant ses propres codes et credo »94
dans Du côté de chez Swann :
« Pour faire partie du " petit noyau " , du " petit groupe " , du " petit clan " des Verdurin, une condition
était suffisante mais elle était nécessaire : il fallait adhérer tacitement à un Credo dont un des articles
était que le jeune pianiste protégé par Mme Verdurin cette année-là et dont elle disait : " Ça ne devrait
pas être permis de jouer Wagner comme ça !, " enfonçait " à la fois Planté et Rubinstein et que
le docteur Cottard avait plus de diagnostic que Potain. Toute " nouvelle recrue " à qui les Verdurin
ne pouvaient pas persuader que les soirées des gens qui n'allaient pas chez eux étaient ennuyeuses
comme la pluie, se voyait immédiatement exclue »95
.
Il est vrai que la vie mondaine est faite de « lois » imperceptibles96
. Les interroger revient
en quelque sorte les dénoncer et signaler leur étrangeté. Or, si les règles de politesse, de
savoir-vivre et de courtoisie jouent un rôle important dans l'harmonie des relations sociales et
dans l'équilibre de la société, « ces règles se distinguent des règles de droit par le fait que leur
origine est inconnue et que leur violation ne donne pas lieu à une sanction par une autorité
étatique mais seulement, éventuellement, à une condamnation sociale »97
d'amour du Moyen Âge ou de ceux des confréries du fol98
par principe, de sanctionner les règles de politesse99
, à l'image des codes
ou d'honneur100
, tandis que les tribunaux refusent,
. Dans ce contexte, il
est possible d'observer que Proust aimerait recourir d'une façon particulière à la notion de
croyance à propos des codes de la politesse aristocratique que suivent inconsciemment de
nombreux personnages :
« Placée pour la première fois de sa vie entre deux devoirs aussi différents que monter dans
sa voiture pour aller dîner en ville, et témoigner de la pitié à un homme qui va mourir,
[Mme de Guermantes conversant avec M. Swann] ne voyait rien dans le code des convenances
qui lui indiquât la jurisprudence à suivre et, ne sachant auquel donner la préférence, elle crut
devoir faire semblant de ne pas croire que la seconde alternative eût à se poser, de façon à obéir
à la première qui demandait en ce moment moins d'efforts, et pensa que la meilleure manière
de résoudre le conflit était de le nier »101
.
94. Takami Suzuki, La Croyance proustienne. De l'illusion à la vérité littéraire, Classiques Garnier, coll. Bibliothèque proustienne, vol. 1,
2019, p. 30.
95. RTP, I, p. 185.
96. V. not. Alain Montandon (dir.), Pour une histoire des traités de savoir-vivre en Europe, PU Blaise Pascal, 1994.
97. Claire Humann, Introduction au droit, Ellipses, coll. Mise au point, 2012, p. 11.
98. En ce sens Rémy Cabrillac, Introduction générale au droit, Dalloz, coll. Mémento, 13e
éd., 2019, n° 9.
99. V. spéc. Ernest Hippolyte Perreau, « Courtoisie, complaisance, et usages non obligatoires devant la jurisprudence », RTD
civ. 1914, p. 481.
100. V. spéc. Bernard Beignier, L'honneur et le droit [1995], LGDJ, coll. Anthologie du Droit, 2014 ; Bruno Oppetit, « L'engagement
d'honneur », D. 1979, p. 107.
101. RTP, II, p. 882.
Droit & Littérature - Numéro 5 63

Revue Droit & Littérature N°5-2021

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