Bibliothèque constitutionnelle et de science politique - Tome 157 - La construction constitutionnelle du politique en Afrique subsaharienne francophone - 357

LA NATION PLURICOMMUNAUTAIRE COMME SOCIÉTÉ POLITIQUE ALTERNATIVE
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et du plurilinguisme national, il y a le cas unique de la Mauritanie dont la Constitution
du 20 juillet 1991 a substitué l'arabe au français comme langue officielle et
érige au rang de langues nationales, celles des peuples historiques qui forment sa
population autochtone ainsi qu'on peut le lire à l'article 6 : « les langues nationales
sont l'arabe, le poular, le soninké et le wolof ; la langue officielle est l'arabe ».
844. Les deux cas de figure restants sont des cas uniques. Il y a d'une part le
cas de la République centrafricaine dont la Constitution du 30 mars 2016 fait
coexister un unilinguisme national avec un bilinguisme officiel à son article 18 « la
République Centrafricaine est un État de droit, souverain, indivisible, laïc et démocratique
(...) Sa langue nationale est le Sango. Ses langues officielles sont le Sango et le
Français ». Il y a d'autre part, le Tchad, dont la Constitution du 14 avril 1996 représente
le seul exemple de plurilinguisme national combiné à un bilinguisme officiel.
Son article dispose en l'occurrence, « les langues officielles sont le français et l'arabe.
La loi fixe les conditions de promotion et de développement des langues nationales ».
845. Au regard de ce qui précède, on peut conclure que l'affirmation de
l'identité culturelle africaine, une réaction contre les vestiges de la colonisation, a
conduit à la consécration des langues africaines comme constitutives de l'identité
nationale à l'exclusion de la langue française. La reconnaissance des langues africaines
comme langues nationales se lit principalement comme une affirmation
identitaire africaine contre la langue coloniale française. Toutefois, l'absence
d'écriture condamne, pour le moment, la grande majorité des pays d'Afrique subsaharienne
francophone à conserver la langue française comme langue officielle.
Par ailleurs, la reconnaissance des langues africaines par les constitutions subsahariennes
peut également s'interpréter comme une réponse à l'affirmation et à la
défense de l'identité des cultures des peuples « minoritaires » ou « périphériques »
dans certains pays où il y a un processus d'uniformisation culturelle de facto
comme le Sénégal avec la culture wolof, le Mali avec la culture bambara ou mandingue,
etc. Enfin, la reconnaissance des langues africaines comme langues officielles
peut s'entendre comme relevant du bon sens ou du réalisme. Il y a un
constat : la classe africaine « européanisée » qui hérite du pouvoir politique assimile
la langue française mais la grande majorité de la population africaine ne sait
ni parler ni lire encore moins écrire le français. Or, dans certains pays, il existe une
langue africaine qui est parlée et comprise par une grande majorité de la population
(le bambara au Mali, le sango en Centrafrique, le wolof au Sénégal). Dès lors,
le réalisme voudrait que la volonté politique, le droit de commandement public
s'exprimât dans ces langues. Parmi les pays concernés par ce fait, seul la République
centrafricaine a consacré le sango, langue nationale, au titre de langue officielle
concurremment au français. Toutefois, il convient de préciser que l'érection
du sango comme langue officielle est pour le moment non suivi d'application. Elle
reste à l'état de déclaration, de pétition de principe.
846. Certes, la plupart des constitutions d'Afrique subsaharienne francophone
qui consacrent la pluralité linguistique de la nation, ne nomment pas, de manière
explicite, les identités concernées. Néanmoins, ce ne sont pas toutes. Les Constituants
centrafricain, congolais, mauritanien et sénégalais désignent clairement les langues
africaines reconnues langues nationales. Et ces langues nationales sont celles des
peuples précoloniaux qui forment leurs populations autochtones. Autrement dit, les
identités linguistiques reconnues comme constitutives de l'identité nationale correspondent
aux identités des communautés politiques précoloniales.

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