Bibliothèque constitutionnelle et de science politique - Tome 157 - La construction constitutionnelle du politique en Afrique subsaharienne francophone - 440

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La construction constitutionneLLe du poLitique
en afrique subsaharienne francophone
Mais au préalable, il convient d'écarter le concept de représentation théorisé par
la doctrine de la représentation nationale qui se révèle en vérité propre au gouvernement
représentatif et donc non-démocratique (a).
a) L'acception écartée : le concept de représentation nationale
1063. Dans la doctrine de la modernité ouest-européenne, l'abbé Emmanuel
Joseph SIEYèS peut être considéré comme le fondateur de la conception de la
représentation nationale. Comme tous les théoriciens de la société politique
moderne, l'abbé fait de la nation le titulaire du pouvoir à la place du monarque.
Mais pour SIEYèS et pour bon nombre d'autres membres du tiers-état, en particulier
ses députés à la constituante, il n'est pas question de faire du peuple le
titulaire de l'exercice du pouvoir politique. En effet, « en juillet 1789, ceux qui se
proclament " représentants de la nation " ne sont pas prêts à promouvoir une république
sociale faisant appel à la participation directe du peuple129
».
1064. À vrai dire, la théorie de la représentation nationale poursuit un objectif
: légitimer l'établissement du gouvernement représentatif malgré la prise populaire
du pouvoir politique. À la base de la théorie de la représentation nationale
gît l'idée que tous les citoyens ne sont pas aptes à intervenir dans le gouvernement
des affaires de la Cité. La grande majorité des individus ne disposerait pas des
capacités intellectuelles pour décider de façon éclairée. Elle serait animée par de
nombreuses passions conflictuelles qui font qu'un gouvernement populaire serait
frappé d'instabilité ou de désordre. Avant l'avènement de la Révolution moderne,
avant l'affirmation de la société politique des individus libres et égaux sur la
société politique féodale, de nombreux auteurs ont défendu l'idée que l'exercice
du pouvoir politique devait revenir à certains individus sur la base d'une discrimination
tenant aux différences sociales et inégalités naturelles qui traversent les
sociétés humaines. Pour Montesquieu, dont la pensée influença les premières
constitutions modernes écrites (États-Unis d'Amérique et France), même s'il
reconnaît le principe du gouvernement par le peuple marque toutefois sa préférence
pour un gouvernement d'éclairés130
.
1065. Certes, tous les députés des tiers-états étaient d'accord pour remplacer
l'ordre de la société politique féodale par l'ordre de la société politique nationale.
Mais tous n'étaient pas d'avis de faire intervenir la masse concrète des citoyens
dans l'exercice des affaires publiques. Plus exactement, certains représentants estimaient
que l'exercice du pouvoir politique devait échoir à une élite dont ils faisaient
partie, notamment à la communauté intellectuelle guidée par la raison des
Lumières (contrairement à la majorité du peuple encore plongée dans l'obscurantisme)
et à la bourgeoisie. SIEYèS, dans un discours à l'Assemblée nationale
129. NAY Olivier, Histoire des idées politiques, coll. « U - Science politique », Armand Colin,
2004, p. 304.
130. MONTESQUIEU, De l'esprit des lois, Livres II, chapitre II, Paris, Librairie Ch. Delagrave,
édition, 1892, p. 109 : « le peuple est admirable pour choisir ceux à qui il doit confier quelque partie de
son autorité. Il n'a à se déterminer que par des choses qu'il ne peut ignorer, et des faits qui tombent sous
le sens. Il sait très bien qu'un homme a été souvent à la guerre, qu'il y a eu tels ou tels succès : il est donc
très capable d'élire en général. Il sait qu'un juge est assidu, que beaucoup de gens se retirent de son
tribunal content de lui, qu'on ne l'a pas convaincu de corruption : en voilà assez pour qu'il élise un
préteur. Il a été frappé de la magnificence ou des richesses d'un citoyen : cela suffit pour qu'il puisse
choisir un édile. Toutes ces choses sont des faits dont il s'instruit mieux dans la place publique qu'un
monarque dans son palais. Mais saura-t-il conduire une affaire, connaître les lieux, les occasions, les
moments, en profiter ? Non, il ne le saura pas ».
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