Hors collection - 150 ans de la faculté de droit de Bordeaux, quel héritage doctrinal ? - 166

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Le droit objectif chez Duguit
Droit naturel classique et droit naturel moderne. - Encore faut- il s'entendre
sur le rôle de l'intelligence ici. Dans le droit naturel aristotélicien, le critère du juste
et de l'injuste ne dépend pas d'une raison purement spéculative, d'une raison qui
partirait de la nature humaine pour en déduire des droits (c'est le droit naturel
moderne ou droit rationnel79
de la parole donnée et d'autrui80
qui se limite en réalité au respect de la propriété,
) mais de l'ordre de l'univers, de l'observation du
cosmos pour constater qu'il y a des choses préférables à d'autres, du normal et de
l'anormal, de l'harmonieux et du disgracieux, du parfait et de l'imparfait, l'être
devant tendre à sa perfection, à son achèvement. Le droit naturel classique est
fondé sur l'ordre du monde, c'est- à-dire sur un ordonnancement qui apparaît à
l'observateur81
. La justice est l'ordre
Ajoutons que le droit naturel moderne part d'une nature humaine statique,
immuable, là où le droit naturel antique part d'une nature dynamique car il s'agit
de passer de la puissance à l'acte, du non- être à l'être, d'accomplir une finalité.
Plutôt que de voir l'homme, abstrait, avec des composantes bien définies (droit
naturel moderne), le droit naturel classique voit l'homme concret toujours en
phase d'apprentissage, d'évolution, de perfection ; et il en va de même de toute la
nature. La graine est appelée à devenir un arbre, l'étudiant en droit un ministre
de la Justice qui abolira la peine de mort, le jeune parent un éducateur exemplaire
pour ses enfants, etc.
Pour saisir encore un peu mieux la différence, on suggérera que les partisans du
droit naturel moderne sont également à l'origine de deux idées : le contrat social,
79. Saleilles souligne que le droit naturel moderne devrait être plus justement appelé droit de la raison :
« École historique et droit naturel d'après quelques ouvrages récents », RTD civ. 1902, p. 82.
80. H. Grotius, Le droit de la guerre et de la paix, trad. J. Barbeyrac, t. I, 1724, p. 7 : « Cette sociabilité,
que nous venons de décrire en gros, ou ce soin de maintenir la Société, d'une manière conforme aux
lumières de l'Entendement Humain, est la source du droit proprement ainsi nommé et qui se réduit en
général à ceci : qu'il faut s'abstenir religieusement du bien d'autrui et restituer le profit qu'on en a tiré ;
que l'on est obligé de tenir sa parole ; que l'on doit réparer le dommage commis par sa faute ; et que
toute violation de ces règles mérite punition, même de la part des Hommes ».
81. Sur l'importance de l'observation chez Aristote, voir S. Neuville, Philosophie du droit, LGDJ, 2019,
n° 40 et s., spéc. n° 44.
82. Le changement du rôle de la raison entre le droit naturel classique et le droit naturel moderne est
celui qui est survenu dans le domaine de la morale avec le passage d'une morale aristotélicienne (avec
l'apogée sous saint Thomas d'Aquin au xiiie
particulier, au xive
siècle), à la morale nominaliste (avec Guillaume d'Occam en
siècle) : « le rôle de cette raison a profondément changé : elle ne propose plus des raisons
tirées de la nature des choses, de l'homme, de Dieu, qui éclairent l'agir ; elle se contente d'apporter des
ordres, d'édicter des préceptes, de faire connaître des obligations qui expriment la pure volonté divine.
Les impératifs de la raison n'ont pas besoin de se soutenir à l'aide de raisons ; ils s'imposent a priori »
(Servais Pinckaers, Les sources de la morale chrétienne, 5e
éd., Academic Press Fribourg, Cerf, 2012, p. 355).
avec ses réalisations plus ou moins abouties et non sur la recherche
de règles rationnelles universelles (droit naturel moderne)82
harmonieux d'une cité.
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