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DROIT DE L'INTELLIGENCE ARTIFICIELLE
Les legaltechs admettent elles-mêmes qu'elles n'intègrent pas encore l'intelligence artificielle
dans leur programme conduisant à organiser des procédures en ligne3
.En
revanche, des modes de calculs sophistiqués dépassant la capacité humaine sont aujourd'hui
bien réels, ce qui permet aux machines d'intégrer par elles-mêmes des informations,
ce que l'on nomme l'apprentissage machine. Penser que la machine puisse
remplacer le juge est donc un fantasme qui n'est d'ailleurs pas récent et ressurgit de
temps à autre en fonction des découvertes techniques. Il n'empêche que les avancées
techniques mettent aujourd'hui à la disposition de la justice des outils d'aide à la décision
de plus en plus sophistiqués qui imposent une réflexion et peuvent conduire à des
modifications juridiques. Nous emploierons donc l'expression de système d'intelligence
artificielle (IA) dans son sens faible retenu dans la proposition de règlement européen du
21 avril dernier (2021/0106 (COD)) : « système d'intelligence artificielle » (système d'IA),
un logiciel qui est développé au moyen d'une ou plusieurs des techniques et approches
énumérées à l'annexe I et qui peut, pour un ensemble donné d'objectifs définis par
l'homme, générer des résultats tels que des contenus, des prédictions, des recommandations
ou des décisions influençant les environnements avec lesquels il interagit ». Il ne
s'agit donc pas ici d'envisager l'apport du numérique en général à la justice, mais
l'impact des techniques numériques sur la prise de décision judiciaire. Les termes de
justice digitale, de justice numérique et de justice par intelligence artificielle (terme
mythique) seront considérés comme équivalents.
Il convient d'ailleurs de s'interroger sur le terme de justice dans le contexte de l'intelligence
artificielle. La justice n'existe pas et ne peut exister non plus, si l'on entend par
là l'idéal de Justice. Penser que l'intelligence artificielle pourrait permettre de l'atteindre
relève d'un fantasme aussi dangereux que de vouloir réaliser une société idéale où les
principes d'égalité et de liberté seraient parfaitement respectés. Si l'on parle de la
justice avec un petit « j », celle que l'on rencontre dans la réalité des tribunaux, alors il y
a peut-être un autre biais préalable qu'il convient de débusquer. Cette justice étant,
selon Ricœur4
, condamnée à échouer, il est tentant de penser que des modes alternatifs
de règlement des conflits plus consensuels pourraient faire mieux. On serait alors amené
à mêler mode alternatif de règlement des conflits et « intelligence artificielle » pour partir
à la recherche, non pas d'une justice idéale, mais d'une meilleure justice concrète. Or,
assez curieusement, les ODR, les sites d'online dispute resolution, ont largement
échoué. Ils ont fermé les uns après les autres à l'exception de celui d'Ebay (qui a mis
au point une garantie qui devrait à terme diminuer le nombre de conflits en ligne) et le
site d'Icann (cela se comprend car le conflit porte sur les noms de domaine, le site a
donc des moyens incitatifs d'exécution de ses décisions). Les sites d'ODR utilisent d'ailleurs
fort peu l'intelligence artificielle, mais seulement des algorithmes de négociation à
l'aveugle. Il faut donc se méfier de ce rapprochement tortueux entre MARD (mode
amiable de résolution des différends) et nouvelles technologies5
.
Par ailleurs, il ne viendrait à l'idée de personne de remplacer le président de la République
par un robot doté d'une intelligence artificielle lui permettant de gagner aux jeux
d'échecs et de go. Pourtant, envisager de remplacer le juge par un robot ne paraît pas si
choquant comme si le raisonnement judiciaire paraissait d'emblée susceptible d'une
mécanisation6
. Il faut alors s'interroger sur sa propre représentation du travail judiciaire.
L'image du syllogisme judiciaire appliquant mécaniquement une disposition législative a
la vie dure, alors que syllogisme n'est qu'une manière de formaliser le jugement et non de
(3) Colloque du 21 avril 2018, université Paris 1, inédit.
(4) Le juste, la justice et son échec,l'Herne, 2005.
(5) V. en ce sens V. LASSERRE, « Les failles de la régulation des services en ligne de médiation et de conciliation »,
JCPG, 2019, libres propos, 502.
(6) D. REILING, « Quelle place pour l'intelligence artificielle dans le processus de décision du juge ? », Les cahiers de la
justice, Dalloz, 2019, 2, 229.
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