Les Intégrales - Droit de l'intelligence artificielle - 2e - 242

DROIT DE L'INTELLIGENCE ARTIFICIELLE
compte le contexte socio-économique. On sait aujourd'hui que les réseaux de neurones
(le mythe encore de l'ordinateur-cerveau) utilisés en intelligence artificielle pour identifier
des choses ont des biais : une seule perturbation invisible peut lui faire prendre des
vessies pour des lanternes75
.Il n'est pas impossible qu'àl'avenir on puisse combiner un
système expert d'aide à la décision et cette intelligence artificielle. Quand bien même
cela deviendrait possible, il faudrait encore que le robot puisse être doté de facultés
d'intuition et d'émotion pouvant « jouer » avec un inconscient (les émotions sont par définition
conscientes). C'est d'ailleurs pour la même raison que l'on peut commencer à
admettre qu'un être naturel soit défendu dans un procès (il a une vraie autonomie, une
forme de sensibilité - appelée parfois « sentience », une altérité vis-à-vis des humains).
Il reste, cependant, contestable de considérer les robots comme des parties potentielles
quand bien même cela pourrait régler les difficultés d'identification du responsable du
robot (et, dit-on, il suffirait d'associer une assurance au robot pour couvrir les frais du
procès et de réparation du dommage, mais qui paierait la prime d'assurance ?).
Une universitaire américaine écrit ainsi : « les véhicules autonomes doivent passer du statut
de produit à celui d'entité légale - artificielle personne - ayant tous les droits et devoirs des
personnes morales »76
d'engager unprocès oud'être poursuivies en justice en cas d'accident »77
. Elle ajoute : « ce statut légal permettrait aux véhicules autonomes
.
Cependant, G. Loiseau et A. Bensamoun notent que ce n'est pas la solution privilégiée en
Europe : « Le Comité économique et social européen (CESE) plaide en faveur d'une prise en
charge humaniste des questions liées à l'intelligence artificielle, ce qui le conduit à rejeter
avec la plus grande fermeté l'idée de l'attribution d'une personnalité juridique aux robots
cognitifs. La conception qu'il défend, dite " human-in-command " , se veut garante d'un
" développement responsable, sûr et utile de l'intelligence artificielle dans le cadre duquel
les machines resteraient les machines, sous le contrôle permanent des humains " »78
.
Les questions de la nature juridique du robot cognitif et du juge robot sont liées puisque
si l'on admet qu'un robot est une personne pouvant être partie à un procès, on est
conduit à admettre que le robot peut aussi être un juge79
.
Le Canada80
, la Grande-Bretagne (2015)81
, les Pays-Bas82
,l'Estonie83
et la Chine84
ont
mis en œuvre des solutions plus ou moins automatisées de résolution des litiges. Pour
les créances transfrontières, l'Union européenne a mis en place, par le règlement
nº 524/2013, un cadre commun disponible sur internet (European small claims). Cependant,
le tribunal virtuel (distributed court room), développé notamment en Australie par
(75) O. FAWZI, « Video, Comment berner une intelligence artificielle ? », Le Monde, 6 mars 19, d'infimes perturbations,
invisibles pour l'œil humain, dans une photographie de chat peuvent tromper une IA et la lui faire prendre pour une
image de chien, même des autocollants sur un panneau de signalisation peuvent perturber une voiture autonome
pour des réseaux de neurones classiques et académiques pas ceux qui sont actuellement utilisés.
(76) M. SELLWOOD, « The Road to Autonomy », San Diego Law Review, 12-1-2017, vol. 54, en ligne, traduction libre de
« Autonomous vehicles must evolve from being classified as products to being classified as legal entities - artificial
persons - possessing the legal rights and duties of a corporation (...) ».
(77) M. SELLWOOD, loc. cit., traduction libre de « This legal status would enable the autonomous vehicle to sue and be
sued in the case of an accident ».
(78) G. LOISEAU et A. BENSAMOUN,« L'intelligence artificielle à la mode éthique », D. 2017. 1371.
(79) La question est discutée à la Cour de cassation : « L'intelligence artificielle et la fonction de juger », S. AMRANI MEKKI,
B. HAFTEL et M.MEKKI (dir. sc.), Institut de recherche pour un droit attractif de l'Université Sorbonne Paris Nord
IRDA, Cycle 2022, « L'intelligence artificielle : quelle intelligence juridique ? », 21 avr. 2022, accessible en ligne
sur le site de la Cour de cassation.
(80) CRT, préc.
(81) Le succès du tribunal virtuel au Royaume-Uni s'explique notamment par le fait que les bureaux ont été installés à
Manchester et non à Londres si bien que les employés ont eu plus de facilités à se loger près de leur lieu de travail
(remarque que je dois à Vincent Smith, professeur à l'ESCP). Il est paradoxal que le succès d'un tribunal virtuel
dépende d'une localisation physique des personnels.
(82) C. PAVILLON, « Justice alternative et numérique : des expériences mitigées aux Pays-Bas », JCPG 2018, nº spécial
L'obsolescence programmée du juge? Actes du colloque à l'ENM, 5 oct. 2018, p. 51, pour les petites créances.
(83) Fl. G'SELL, op. cit., p. 151.
(84) Fl. G'SELL, op. cit., p. 128 et s.
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