Les Intégrales - Droit de l'intelligence artificielle - 2e - 397

Cha p i t r e 12 - I n t e l l i genc e ar t i f i ci e l l e et d r oi t de l a s a n t é
soins n'est pas sans limites. Il peut être source de devoirs pour le malade que l'intelligence
artificielle pourrait bien amplifier.
630 Intelligence artificielle et devoir de coopération. - Rares sont les droits qui ne s'accompagnent
pas d'obligations, et la relation de soins n'échappe pas à cette réalité.
L'article L. 1111-1 du Code de la santé publique dispose ainsi que « les droits reconnus
aux usagers s'accompagnent des responsabilités de nature à garantir la pérennité du
système de santé et des principes sur lesquels il repose ». Si le malade a donc certaines
obligations, la question se pose de savoir si la possibilité de recourir à l'intelligence artificielle
dans le parcours de santé n'est pas de nature à les alourdir. On sait que le malade
est traditionnellement tenu de donner loyalement au médecin toutes les informations
susceptibles de faciliter le diagnostic, l'établissement de l'indication thérapeutique ou le
suivi du traitement prescrit. Avec l'émergence des dispositifs d'intelligence artificielle, ce
devoir de coopération peut s'avérer fondamental dès lors qu'il peut conditionner le choix
de recourir à l'intelligence artificielle, l'utilité d'un tel système, voire son efficacité. C'est
pourquoi il n'est pas inenvisageable que le devoir de coopération avec l'intelligence artificielle
soit davantage pris en compte à l'avenir dans la relation de soins, à charge pour le
législateur d'en prévoir précisément la source, la nature, la consistance et même la sanction.
Le devoir de coopération peut, en outre, prendre une dimension particulière dès lors
que le malade est un assuré social et qu'il peut être tentant de conditionner la prise
charge par l'assurance maladie à l'observance par un patient de son traitement. L'objectif
ultime est alors de sanctionner les patients qui ne suivent pas leurs traitements, en diminuant
leur taux de prise en charge. Cette idée, qui est dans l'ère du temps70
, a jusqu'à
peu été entravée du fait de la lourdeur et du coût des tests de contrôle destinés à vérifier
le suivi des traitements par les patients. L'intelligence artificielle a cependant levé les
derniers obstacles car « la banalisation des objets connectés permet désormais d'envisager
un tel suivi du patient, en continu et pour un coût modéré »71
. Ce faisant, l'intelligence
artificielle révèle son côté obscur au malade dès lors qu'elle peut constituer un
outil utilisé à son encontre pour moduler le remboursement de l'assurance sociale en
fonction de l'observance souhaitée du traitement. Même si les dispositifs d'intelligence
artificielle rendent concevable un suivi fin et continu de l'observance et si cette pratique
est juridiquement envisageable ainsi que l'a relevé le Conseil d'État72
, elle n'a pas été
autorisée par le législateur, et surtout elle nous apparaît peu souhaitable, d'abord en ce
qu'elle sert davantage les intérêts de la collectivité - en permettant au système d'assurance
maladie de réaliser des économies - que ceux des patients concernés. Surtout,
« elle induirait le développement de contrôles intrusifs, porteurs d'atteintes potentiellement
lourdes au droit au respect de la vie privée au nom d'une logique de
. Enfin, cette utilisation de l'intelligence artificielle comme gendarme
de l'assurance sociale introduit une dimension punitive, à laquelle contribuerait d'ailleurs
le médecin, qui est de nature à engendrer de la suspicion alors même que la relation de
soins doit reposer sur l'idée de confiance, et non sur celle de défiance. L'intelligence artificielle
doit permettre de reconsidérer la relation de soins, et non d'y insérer une dimension
sanctionnatrice, laquelle relève d'une autre logique que l'on va maintenant aborder,
celle de la responsabilité.
" sousveillance " »73
(70) V. par ex. C. ERHEL et L. DE LA RAUDIÈRE, rapport d'information par la commission des affaires économiques de
l'Assemblée nationale sur les objets connectés, nº 4362, 10 janv. 2017.
(71) CE, Révision de la loi de bioéthique : quelles options pour demain ?, préc., p. 202.
(72) CE, ibid., p. 203.
(73) CE, ibid., p. 204.
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