Les Intégrales - Droit de l'intelligence artificielle - 2e - 465

Cha p i t r e 15 - I n t e l l i gence ar t i f i ci e l l e et d r o i t i n t er na t i on al
opération militaire. En lien avec le principe de distinction, la règle de non-discrimination,
énoncée à l'article 51, § 4 du protocole I aux conventions de Genève, interdit les attaques
sans discrimination qui sont propres à frapper indistinctement des objectifs militaires et
des personnes civiles ou des biens de caractère civil. Le principe de proportionnalité,
énoncé à l'article 51, § 5 du protocole I aux conventions de Genève, implique, pour sa
part, que les blessures causées à des civils ainsi que les pertes humaines et matérielles
occasionnées à la population civile, ne soient pas excessives par rapport à l'avantage
militaire direct et concret attendu de l'attaque. Enfin, en vertu du principe de précaution,
énoncé à l'article 58 c) du protocole I aux conventions de Genève, une arme autonome
devrait être capable d'appliquer les précautions nécessaires dans l'attaque afin de minimiser
les pertes civiles. Une fois de plus, il est permis de douter que les armes autonomes
soient pourvues d'une telle capacité. En l'état actuel des connaissances, il paraît
difficile de programmer les principes de distinction, de proportionnalité et de précaution.
Les études relatives aux drones montrent les limites du recours à l'IA dans les conflits
armés. Plusieurs rapports soulignent que l'utilisation des aéronefs sans pilote ne peut
pas garantir la distinction civil-militaire et ne peut pas éviter, malgré les discours autour
d'une guerre chirurgicale, les attaques contre des civils. L'ONG The Bureau of Investigative
Journalism qui recense les victimes militaires et civiles lors des attaques par drones
américains au Pakistan, en Somalie et au Yémen estime que sur 6 786 frappes par
drone, le nombre de civils tués est de 769 à 1 725 dont 253 à 397 enfants62
. Les chiffres
avancés, concluant qu'un civil est tué pour quatre à six militaires, démontrent également
que les attaques par drones sont loin d'être proportionnées. Le développement et
l'utilisation de SALA se heurtent par ailleurs à la clause dite Martens63
inscrite aux
préambules des convention II et IV signées à La Haye respectivement les 29 juillet 1999
et 18 octobre 1907. Cette clause, destinée à pallier le vide juridique en cas de situation
non prévue par les textes, souligne qu'en l'absence d'une disposition de droit international
spécifique, toute nouvelle arme doit être jugée sur la base des « lois de l'humanité
» et des « exigences de la conscience publique ». La référence aux « lois de l'humanité
» implique de traiter autrui avec humanité dans le respect du droit à la vie et à la
dignité humaine. Les armes entièrement autonomes dépourvues d'émotion et de compassion
et dont les facultés de jugement juridique et moral doivent être démontrées peuventelles
réellement respecter ces deux critères ? Les exigences de la conscience publique
renvoient aux opinions des gouvernements et de la société civile sur le bien-fondé d'un
moyen ou d'une méthode de guerre. Or, la société civile se montre plutôt inquiète, voire
opposée, face au développement de telles armes, alors que les États sont divisés sur leur
licéité. Le rapport Heed the Call - A Moral and Legal Imperative to Ban Killer Robots64
publié par l'ONG Human Rights Watch en 201865
conclut ainsi que les armes entièrement
autonomes violeraient ladite clause de Martens. Le recours aux SALA pose également
des problèmes en matière de responsabilité, notamment dans l'hypothèse d'une
autonomie complète. Les machines ne pouvant pas être déclarées responsables, il
convient de concevoir un cadre légal capable d'assurer la réparation des dommages
causés aux victimes par ces armes66
.
B - Les discussions autour d'une réglementation
internationale
766 Groupe d'experts de l'ONU. - En 2013, à l'initiative de la France, la question des SALA
est introduite dans le cadre multilatéral de la Convention sur l'interdiction ou la limitation
(62) https://www.thebureauinvestigates.com/projects/drone-war (consulté le 30 juill. 2022).
(63) Frederic Fromhold Martens était délégué russe à la Conférence de La Haye de 1899.
(64) En Français : Répondez à l'appel : l'impératif moral et juridique d'interdire les robots tueurs.
(65) Human Rights Watch, Heed the Call- A Moral and Legal Imperative to Ban Killer Robots, Human Rights Watch,
2018, 46 p.
(66) M.-d.-N. RUFFO, « La robotisation de la guerre et la décision militaire : efficacité et éthique », in H. JACQUEMIN,A. DE
STREEL (dir.), L'intelligence artificielle et le droit, Larcier, Bruxelles, 2017, p. 461.
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https://www.thebureauinvestigates.com/projects/drone-war

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