Hors collection - Les États d'exception, un test pour l'État de droit (Revue du Droit Public - Numéro spécial) - 105

L'ÉTAT D'URGENCE : HORS OU DANS LA CONSTITUTION ?
105
institutionnelles à l'œuvre depuis la déclaration de l'état d'urgence du
14 novembre 2015 (appliqué jusqu'au 1er
novembre 2017) et le déclenchement
de l'état d'urgence sanitaire (loi n° 2020-290 du 23 mars 2020),
toujours en vigueur, invitent au même constat : il faut agir vite, quitte, pour
le gouvernement, à déplacer le siège du pouvoir du Conseil des ministres
vers le Conseil de défense sanitaire (11) et quitte à rogner davantage sur les
prérogatives constitutionnelles du Parlement (12) en utilisant abondamment
les ordonnances de l'article 38 ou en reléguant l'Assemblée nationale à une
instance de validation des choix présidentiels (13). Du côté de la juridiction
constitutionnelle, les observateurs constatent ces derniers mois « des
décisions extraordinaires de la part du Conseil constitutionnel, dont le sens
aurait vraisemblablement été différent en période " ordinaire " » (14). L'épisode
de l'adoption de la loi organique n° 2020-365 du 30 mars 2020, portant
création d'une nouvelle catégorie d'état d'urgence pour lutter contre la pandémie,
en est une illustration : définitivement adopté en 2 jours, alors même
que l'article 46 de la Constitution impose le respect d'un délai minimal de
15 jours entre le dépôt d'un projet de loi organique et la délibération de la
première assemblée saisie (ce délai étant de droit en raison de l'engagement
de la procédure accélérée par le gouvernement), le texte - qui suspend pendant
3 mois le délai dans lequel la Cour de cassation ou le Conseil d'État
doit se prononcer sur le renvoi d'une QPC au Conseil constitutionnel et
celui dans lequel ce dernier doit statuer sur cette question - réussit à franchir
le contrôle préventif de constitutionnalité en vertu « des circonstances
particulières de l'espèce » (15).
nations : nécessité fait loi, l'urgence couvre tout, à l'impossible nul n'est tenu, sauve
qui peut » (« L'État face aux crises », Pouvoirs 1979, p. 8).
(11) Le Conseil de défense sanitaire est un Conseil de défense et de sécurité nationale
dédié à la gestion de la crise sanitaire. V. Desmoulins T., « La formalisation du
présidentialisme sous la ve
République : le Conseil de défense et de sécurité nationale
», Jus Politicum janv. 2021, n° 25, en ligne.
(12) Altwegg-Boussac M., « La fin des apparences. À propos du contrôle parlementaire
en état d'urgence sanitaire », RDH 12 avr. 2020, en ligne.
(13) Mélin-Soucramanien F., « L'Assemblée nationale aux temps de la pandémie de
Covid-19. Si le grain ne meurt... », RFDA 2020, p. 603. « Alors même que l'Assemblée
nationale, ce qui doit être loué, a assuré une forme de continuité de la représentation
nationale, le dessaisissement de ce qui devait constituer sa raison d'être s'est
encore accéléré » (p. 624).
(14) Derosier J.-P., Cartier E., « Chronique de droits fondamentaux et libertés
publiques. Janvier-Juin 2020 », Titre VII 2020, n° 5, p. 99.
(15) Cons. const., 26 mars 2020, n° 2020-799 DC, Loi organique pour faire face à
l'épidémie de Covid. V. Gicquel J.-É., « La loi organique Covid-19 et l'irrespect non
sanctionné de la Constitution », Gaz. Pal. 7 avr. 2020, n° 377, p. 27 ; Jeanneney J., « La
non-théorie des circonstances particulières », AJDA 27 avr. 2020, p. 839.
REVUE DU DROIT PUBLIC - N° Spécial-2021

Hors collection - Les États d'exception, un test pour l'État de droit (Revue du Droit Public - Numéro spécial)

Table des matières de la publication Hors collection - Les États d'exception, un test pour l'État de droit (Revue du Droit Public - Numéro spécial)