Hors collection - Les États d'exception, un test pour l'État de droit (Revue du Droit Public - Numéro spécial) - 189

COMMUNIQUER EN RÉGIME D'ÉTATS D'URGENCE
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la nécessité d'adapter les moyens à la disposition des autorités exécutives
pour faire face à l'urgence dans un cadre juridique lui-même renforcé et
plus facilement adapté aux circonstances, notamment locales. En raison du
caractère pathogène et contagieux du virus de la Covid-19 et de l'urgence de
santé publique que l'évolution de sa propagation entraîne, le gouvernement a
été conduit à limiter fortement les déplacements des personnes hors de leurs
domiciles. [...] Il est ainsi proposé d'instituer un état d'urgence sanitaire
pour faire face aux crises d'une gravité et d'une ampleur exceptionnelles. Ce
dispositif, inspiré de l'état d'urgence de droit commun [sic], s'en distingue
par ses motifs tenant à une menace majeure pour la santé de la population,
et par son régime. »
Les traits caractéristiques de ce type de discours sont immédiatement
mis en lumière, et d'autant plus remarquables que les motifs invoqués pour
instaurer l'urgence sont différents. Ces discours et leurs semblables se présentent
comme une rhétorique de l'évidence. La parole n'a pas pour but de
convaincre : elle présuppose la conviction. Il serait contre-productif de supposer
la possibilité d'un doute, donc d'esquisser une démonstration. Les faits
parlent d'eux-mêmes. L'habileté tactique de cette stratégie discursive ne
camoufle cependant qu'à demi l'ambiguïté du propos. Car, d'un point de vue
objectif, le registre du discours se situe à mi-chemin du constatif et du performatif
au sens large : il feint de constater une réalité mais la suscite en même
temps. La gravité de la situation n'implique pas par elle-même l'urgence
d'agir pour y faire face, ni la nécessité de recourir à des mesures d'exception,
ni a fortiori la pertinence et l'efficacité de celles-ci. Mais tout est censé être
contenu dans le mot urgence. Décréter l'urgence, créer l'urgence et justifier
les mesures d'urgence forment un bloc. L'autoréférentialité suscite la réalité
qu'elle déclare, la phrase qui dit « la situation est urgente » est donc vraie
parce qu'elle le dit. Même si l'on concède que la situation donnée justifie un
tel diagnostic, il demeure que la parole opère une transition de l'objectif au
subjectif - elle suscite une prise de conscience -, de la condition à la conséquence
- elle justifie le passage à l'acte - et du passé au futur - les malheurs
constatés vont prendre fin grâce aux mesures décidées. Or, rien n'établit la
légitimité de ce transfert. L'avenir seul lui apportera, peut-être, confirmation.
Dans l'instant, en revanche, l'urgence du discours et le discours de l'urgence,
le medium et le message se confondent.
Mais l'opération a un prix : le discours d'urgence est marqué d'une ambivalence
fondamentale.
Il vise en effet à permettre une action plus rapide et plus efficace. Pensé
comme accélération du temps, il est à cheval sur deux temporalités : un
passé immédiat, dont le caractère traumatique exige et justifie les mesures
d'urgence, et un futur immédiat, qui exige une intervention immédiate des
pouvoirs publics. Par construction, cette action exclut le recul, la réflexion,
la concertation, une analyse posée des problèmes et de leurs solutions. Le
mode d'expression qui en découle, bref, haletant, exclut les interrogations et
REVUE DU DROIT PUBLIC - N° Spécial-2021

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