Hors collection - Les États d'exception, un test pour l'État de droit (Revue du Droit Public - Numéro spécial) - 191

COMMUNIQUER EN RÉGIME D'ÉTATS D'URGENCE
191
susceptibles d'entraîner des conséquences concrètes : le discours d'urgence
autorise juridiquement et légitime politiquement celles-ci. Ce discours global
place les autorités en situation de force, mais s'use. Une autre communication
s'avère nécessaire. Sélective et argumentée, elle doit répondre aux discours
alternatifs, oppositionnels ou sceptiques qui visent à disqualifier non plus le
principe de l'urgence, mais les modalités de sa mise en œuvre. Il convient
donc de considérer la pluralité, matérielle et formelle, des phénomènes rangés
sous la catégorie de l'urgence (A) et de mettre en lumière la pluralité des discours,
actifs et réactifs, développés à propos de l'état d'urgence (B).
A. - Pluralité de l'état d'urgence
Dans l'expression consacrée « état d'urgence », urgence s'écrit au singulier.
Cet usage n'est évidemment pas neutre. Il s'explique aisément par les observations
précédentes : présenter l'urgence comme une entité est la condition
de l'emploi « performatif » du terme. Parler des urgences, comme en contexte
hospitalier, le banaliserait : son pouvoir de sidération en serait édulcoré.
Des affinités entre les cas de figure dans lesquels le mot est employé
existent bien. Le terme n'est pas qu'une étiquette destinée à suggérer l'illusion
d'une similitude entre des phénomènes hétérogènes afin de susciter le réflexe
conditionnel cherché. Si l'on considère les deux formes, terroriste et sanitaire,
sous lesquelles l'état d'urgence s'est manifesté dans les années récentes, deux
points communs sautent aux yeux. Outre la similitude du terme et le recours
à des instruments normatifs du même genre, quoique différenciés, on observe
un argumentaire voisin, l'adoption de mesures coercitives et une tendance
irrépressible à faire durer l'état d'exception au-delà de ce qui était prévu.
On remarque aussi une tendance à mettre en avant la parole des experts :
spécialistes du renseignement dans un cas, médecins dans l'autre. Celle-ci
paraît découler de la nature du problème : les questions considérées appellent,
dans l'analyse des situations comme dans l'élaboration des réponses, la maîtrise
d'un savoir technique que les décideurs politiques ne maîtrisent pas ; le
recours à l'expert est également exploité, voire manipulée, comme moyen de
communication : s'abriter derrière la parole des experts apporte de la crédibilité
au discours et minimise la responsabilité des décideurs en cas d'échec. En
cas de succès, ceux-ci ne salueront guère la clairvoyance de leurs conseillers,
ils en tireront pour eux seuls un bénéfice politique.
L'hétérogénéité des phénomènes rangés sous la catégorie de l'urgence
se manifeste donc d'un point de vue matériel. Lutter contre le terrorisme
est un combat politique mené contre des adversaires fanatiques mais intelligents,
disposant de moyens non négligeables et de complicités diverses,
qui possèdent l'avantage de l'initiative et du secret, et contre lesquelles
des représailles massives s'avèrent inopérantes. Un virus, phénomène naturel,
ne présente pas les mêmes caractères mais il menace la vie de tous,
évolue de façon imprévisible et n'a pas besoin de recruter des volontaires
REVUE DU DROIT PUBLIC - N° Spécial-2021

Hors collection - Les États d'exception, un test pour l'État de droit (Revue du Droit Public - Numéro spécial)

Table des matières de la publication Hors collection - Les États d'exception, un test pour l'État de droit (Revue du Droit Public - Numéro spécial)