Hors collection - Les États d'exception, un test pour l'État de droit (Revue du Droit Public - Numéro spécial) - 195

COMMUNIQUER EN RÉGIME D'ÉTATS D'URGENCE
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aussi observé que cette instauration, bien qu'elle se présente comme objectivement
nécessaire, s'accompagne d'un effort de justification. La justification,
inaugurale mais continuée, paraît indissociable de l'urgence car elle est sentie
comme la condition, politique mais aussi empirique, du succès de l'opération.
Refusé dans son principe ou ses conséquences, l'état d'urgence échouerait à
produire les effets qu'en attend l'autorité publique. Par conséquent, du point
de vue de celle-ci, la communication d'urgence implique un dialogue. Aux
discours actifs, qui créent juridiquement et justifient l'urgence, répondent des
discours réactifs qui enregistrent, acceptent ou contestent la parole publique.
Parmi les premiers, le principal est évidemment celui des décideurs politiques,
c'est-à-dire du pouvoir exécutif au sens, fortement personnalisé, que
recouvre ce terme dans les institutions actuelles de la France. La question a
été évoquée. Il ne semble pas utile d'y revenir.
Il faudrait également considérer le discours des juges. Bien que celui-ci,
par sa nature même, mais aussi le nombre des décisions, leur caractère nécessairement
ponctuel et leur technicité ne possèdent pas, dans l'ordre de la
communication, une visibilité égale à celle que connaît la parole des dirigeants
politiques, et que mériterait son importance objective, il demeure relativement
confidentiel. Il n'atteint en fait le grand public que par l'intermédiaire des
médias, qui, pour ces raisons et quelques autres, observent généralement en la
matière une certaine réserve.
Le cas du Conseil constitutionnel est assez particulier puisqu'on lui prête
volontiers une volonté pédagogique (14). Mais les questions relatives à
l' urgence ne semblent pas conférer à celle-ci un caractère particulier.
Aux discours actifs, qui constatent l'urgence et en tirent les conséquences
normatives, s'opposent les discours réactifs, qui commentent les premiers,
apprécient leurs motivations et discutent leurs conséquences. Bien qu'ils ne
créent pas le phénomène, ce sont eux, en dernière analyse, qui en déterminent
la portée : ils reflètent mais en même temps orientent l'opinion - qui est le
juge en dernier ressort, pragmatiquement et politiquement, de l'affaire.
Parmi ceux-ci, il faut d'abord considérer la doctrine juridique, non en raison
de son audience, qui demeure forcément limitée, mais parce qu'elle se
trouve à l'interface de l'état d'urgence - notion juridique - et de la situation
d'urgence - réalité perçue, inégalement d'ailleurs selon les cas, par le grand
public.
La doctrine juridique s'est livrée à une analyse très approfondie de l'état
d'urgence. Son approche, généralement critique, a porté à la fois sur le principe
(14) V. Gelblat A., « La pédagogie du Conseil constitutionnel dans le discours doctrinal
», in Champeil-Desplats V. (dir.), Pédagogie et droits de l'homme, 2014, Presses
universitaires de Paris Ouest, p. 181 à 194. L'auteur discute la pertinence du terme
« pédagogie », et montre comment le phénomène permet à la fois de dissimuler et de
sublimer le pouvoir discrétionnaire de l'institution.
REVUE DU DROIT PUBLIC - N° Spécial-2021

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