Hors collection - Les États d'exception, un test pour l'État de droit (Revue du Droit Public - Numéro spécial) - 36

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DOMINIQUE ROUSSEAU
Or, celles et ceux qui connaissaient le droit comme principe démocratique
avant son « vol » - comme Mireille Delmas-Marty - mais aussi et surtout
ceux qui le « voyaient » comme une illusion de juristes naïfs, un moyen
pour eux de construire, affirmer et consolider la position hégémonique de
leur discipline ou un cache-sexe du libéralisme économique le « regardent »
aujourd'hui de manière différente. Parce qu'il n'est plus là, parce qu'il n'est
plus au centre de la configuration politique, le droit est regretté, il (re)devient
intéressant, digne d'être pris au sérieux. Le philosophe italien, Giorgio
Agamben, peu suspect d'idolâtrer le droit, reconnaît maintenant l'importance
de l'établissement de la certitude par les moyens du droit plutôt que par les
moyens de la police, dénonce la fusion du public et du privé dans les régimes
d'exception et s'inquiète de voir l'Europe prendre la Chine comme modèle à
suivre (3). Les droits et libertés qui étaient dits « formels » sont aujourd'hui
appréciés comme « essentiels » pour le vivre-ensemble, pour l'existence et la
vie de la société.
Le droit est ainsi devenu une valeur pour la critique des états d'exception
(I) mais aussi une valeur critique, c'est-à-dire intelligente parce qu'intégrant
les analyses de ses défauts et imperfections, pour l'avenir démocratique
des sociétés contemporaines (II).
I. - Le droit, valeur critique des états d'exception
Dans le monde d'avant, le droit avait mauvaise presse. Pour les uns, il
était responsable de tous les maux de la société : l'économie de marché qu'il
légitimerait, la dissolution des liens sociaux qu'il provoquerait, l'individualisme
qu'il sacraliserait, l'état d'urgence qu'il condamnerait... Et partout en
Europe, les gouvernements s'en prenaient au droit et à ceux qui le portaient,
les magistrats. Pour d'autres, comme Marcel Gauchet, il était le responsable
de l'impuissance de l'État soumis à la dictature des droits subjectifs. Puis vint
l'état d'exception. Et le droit retrouva une vigueur nouvelle comme valeur au
nom de laquelle conduire une critique de la décision d'instaurer l'état d'exception
(A), une critique du droit produit par l'état d'exception (B) et une
critique de la forme même de l'état d'exception (C).
A. - Le droit, critique de la décision d'instaurer l'état d'exception
« J'ai décidé de renforcer encore les mesures pour réduire nos déplacements
et nos contacts au strict nécessaire. Dès demain midi et pour 15 jours
au moins, nos déplacements seront fortement réduits. Cela signifie que les
regroupements extérieurs, les réunions familiales ou amicales ne seront plus
(3) V. par ex. Agamben G., « De l'État de droit à l'État de sécurité », Le Monde
24 déc. 2015 et entretien avec Nicolas Truong, Le Monde 28 mars 2020.
REVUE DU DROIT PUBLIC - N° Spécial-2021

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