Hors collection - Les États d'exception, un test pour l'État de droit (Revue du Droit Public - Numéro spécial) - 43

LA RÉHABILITATION PARADOXALE DU DROIT
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y a, il convient de rappeler que l'État de droit avait même pénétré le domaine
très hiérarchisé du monde de la santé. Tenu à l'écart et considéré comme un
objet à soigner, le malade était devenu, par ses luttes lors de l'épidémie du
sida, de l'affaire du sang contaminé ou de la vache folle, un acteur auquel la
loi Kouchner du 4 mars 2002 reconnaissait le droit de participer au choix de
son traitement et d'être représenté dans les instances définissant les politiques
publiques de santé. Lui aussi s'effondre. Tous les lieux où siégeaient « les
usagers du système de soins » ont été écartés au profit de conseils et comités
d'experts ad hoc créés par et auprès du président de la République.
La volonté politique qui, dans l'état ordinaire des choses, se forme par
délibérations successives entre différents corps constitués est, dans l'état
d'exception, tout entière aspirée par et dans un seul corps, celui en France du
président de la République. Jupiter, dit la critique. Mais Zeus devait composer
avec les autres dieux et même avec les mortels qu'il aimait rencontrer. Ici,
en état d'exception, point de composition avec les autres dieux de l'Olympe
élyséen, ministres et autres conseillers, qui vantent l'omniscience du président
tout à la fois épidémiologiste, psychologue, économiste, pédagogue,
philosophe et toujours meilleur que les spécialistes de chacune de ces disciplines
(11). Au demeurant, l'état d'exception ne fait que provoquer un effet
de loupe sur le système politique de la ve
République ; il dévoile la réalité
ordinaire et non exceptionnelle du fonctionnement de l'État ; il révèle que la
« vraie » Constitution de la ve
République n'est pas le texte même modifié de
1958 mais la parole prononcée par le général de Gaulle lors de sa conférence
de presse du 31 janvier 1964 : « il doit être entendu que l'autorité indivisible
de l'État est confiée tout entière au président par le peuple qui l'a élu, qu'il
n'en existe aucune autre, ni ministérielle, ni civile, ni militaire, ni judiciaire,
qui ne soit conférée et maintenue par lui ». De Gaulle ne parlait point ici
de l'exercice du pouvoir en situation d'exception ou dans des circonstances
exceptionnelles, mais de l'art de gouverner la République en temps ordinaires.
Quand les uns ou les autres cherchent à qualifier la ve
République, les
mots utilisés sont toujours les mêmes et font directement écho à cette constitution
« sauvage » : dès 1967, Valéry Giscard d'Estaing dénonce « l'exercice
solitaire du pouvoir » par le général de Gaulle ; en 1981, François Mitterrand
déclare que ses 110 propositions sont la charte du gouvernement et, après la
victoire des socialistes aux élections législatives de juin, qu'elles sont aussi
la charte des parlementaires ; le Parlement est régulièrement décrit comme la
chambre d'enregistrement de la volonté présidentielle et les députés comme
(11) « Aucun de ces sujets n'est inaccessible pour une intelligence comme la
sienne », déclare le ministre de l'Éducation nationale, qui ajoute « il est tellement au
fait sur le sujet (la crise sanitaire) que même les ministres ne s'aventurent désormais
plus trop à le challenger ». Et Jean-François Delfraissy, président du Conseil scientifique,
a fait remarquer au président de la République qu'à « ce rythme, vous allez
devenir encore plus spécialiste que nous ».
REVUE DU DROIT PUBLIC - N° Spécial-2021
Hors collection - Les États d'exception, un test pour l'État de droit (Revue du Droit Public - Numéro spécial)

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