Hors collection - Les États d'exception, un test pour l'État de droit (Revue du Droit Public - Numéro spécial) - 48

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DOMINIQUE ROUSSEAU
et de libertés exposés dans la Déclaration, que se fonde la société en 1789,
comme c'est par le droit, entendu comme ensemble des droits, principes et
libertés exposés dans le Préambule de 1946, que se refonde la société après
« la victoire remportée par les peuples libres sur les régimes qui ont tenté
d'asservir et de dégrader la personne humaine ». Ce n'est pas seulement dans
les mots que nous pensons, pour reprendre Hegel, c'est dans les mots que
nous existons : dans les mots de la Bible que nous existons comme chrétiens,
dans les mots du Coran comme musulmans, dans les mots de la Constitution
comme citoyens.
Cette part du droit, et en particulier de la Constitution, dans la construction
d'une société politique et dans la production d'un vivre-ensemble social
n'est pas habituelle. Autant il est convenu de reconnaître la part de l'économie,
de l'histoire, de la sociologie, de la religion, autant il est plus difficile
d'admettre et même de penser à une part possible du droit dans ce travail
politique. Il vient après, dit-on, une fois que tout est terminé, pour mettre en
ordre et offrir un discours de légitimation. Et pourtant, même si un juriste doit
comme tout un chacun se méfier de son arrière-boutique, disait Montaigne, il
faut reconnaître au droit, avec Bourdieu qui ne l'aimait pas beaucoup, « une
force propre qui est d'instituer, c'est-à-dire de faire exister, de donner vie à
ce qu'il nomme » (20). Comme le miroir donne à la reine qui l'interroge son
identité, la Constitution est ce miroir magique qui dit et fait en même temps
le citoyen en énonçant les droits qui le constituent ainsi (21). Car la Déclaration
de 1789 ne s'adresse pas à une abstraction mais « aux membres du
corps social ». Les droits déclarés le sont pour « chaque homme », « tous les
citoyens », « les membres de la société » : « l'exercice des droits naturels de
chaque homme n'a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la
société la jouissance de ces mêmes droits » (art. 4) ; « tous les citoyens ont le
droit de concourir personnellement ou par leurs représentants » à la formation
de la loi et « tous les citoyens » sont égaux aux yeux de la loi (art. 6) ; « nul
homme ne peut être accusé, arrêté ni détenu que dans les cas déterminés par la
loi » (art. 7) et « nul ne doit être inquiété pour ses opinions » (art. 10) ; « tout
citoyen peut donc parler, écrire et imprimer librement » (art. 11). Et les déclarations
de droits ultérieures renforcent cette logique politique en connectant
« tout un chacun » avec sa réalité vécue, avec son environnement social, avec
sa singularité. Le Préambule de la Constitution de 1946 donne à la femme des
droits égaux à ceux de l'homme (al. 3), au travailleur le droit de participer
à la gestion de son entreprise (al. 8), à l'enfant, à la mère et aux vieux travailleurs
le droit à la protection de la santé (al. 11), à l'enfant et à l'adulte le
(20) Bourdieu P., La force du droit, 2017, Éd. de La Sorbonne, Tirés à part.
(21) Ce pour quoi certains membres de l'Assemblée constituante n'étaient pas favorables
à la rédaction de cette déclaration qui, selon eux, comportait le risque de voir
désormais les « gens » se comporter conformément à l'identité qu'elle leur donnait...
REVUE DU DROIT PUBLIC - N° Spécial-2021

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