Hors collection - Les États d'exception, un test pour l'État de droit (Revue du Droit Public - Numéro spécial) - 59

L'ÉTAT D'URGENCE SANITAIRE OU LA TENTATION DE L'ÉPISTOCRATIE
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la santé. Même le Conseil constitutionnel a explicitement assumé sa décision
d'absoudre le Parlement de tout vice d'inconstitutionnalité en acceptant que
celui-ci se dispense du respect, compte tenu des circonstances exceptionnelles,
du délai minimal de 15 jours exigé entre le dépôt et l'examen d'un projet ou
d'une proposition de loi organique lorsqu'est engagée la procédure accélérée
(3). Si le confinement de la population fut prescrit de manière intermittente,
celui de la démocratie aura été permanent. Deux piliers essentiels de la
démocratie libérale ont ainsi été mis en cause : la liberté d'aller et venir, qui
a été considérablement entravée par les diverses mesures de confinement total
ou partiel adoptées depuis le début de la crise, ainsi que le principe délibératif,
qui structure en temps ordinaire le processus décisionnel de tous les régimes
parlementaires. Tous les aspects de la gestion de cette crise ont en effet été
pris en charge par le seul pouvoir exécutif, dès lors que l'état d'urgence sanitaire
issu de la loi du 23 mars 2020 a permis au gouvernement, au nom de
la lutte contre l'épidémie, de restreindre nos libertés par ordonnances et a
ainsi contribué au renforcement du tropisme monarchique de la ve
République
qu'avait déjà repéré autrefois Maurice Duverger (4).
La banalisation du recours au Conseil de défense est une des illustrations
les plus visibles, à la faveur de cette crise, d'une dérive présidentialiste du
régime déjà sensiblement alimentée par la conception dite « jupitérienne » des
institutions que cultive Emmanuel Macron dans sa pratique du pouvoir depuis
son entrée en fonction en 2017. Une telle verticalité du pouvoir à laquelle
renvoie l'usage courant de la figure de Jupiter pour qualifier le style présidentiel
de l'actuel chef de l'État a donc rencontré dans la crise sanitaire
un contexte particulier qui lui donna une singulière vigueur. Une vigueur à
laquelle la science a apporté une généreuse caution qui n'est pas loin de donner
à la ve
République, pour cette dramatique circonstance, les traits d'un despotisme
éclairé. En 2017, au début du quinquennat d'Emmanuel Macron, la
tendance était déjà prégnante, comme en attestait la nomination de nombreux
ministres au profil de techniciens, très en phase avec l'idéal saint-simonien
d'un pouvoir convaincu d'être guidé par la seule raison, au risque de disqualifier
par avance toute alternative politique (5). Trois ans plus tard, la crise
due à la Covid-19 ne fit, au fond, qu'accélérer le processus dans la mesure
(3) Cons. const., 26 mars 2020, n° 2020-799 DC, Loi organique d'urgence pour faire
face à l'épidémie de Covid-19 : JO n° 0078, 31 mars 2020, texte n° 5 ; il s'agissait
d'une loi organique visant à suspendre le délai de 3 mois applicable, en QPC, aux décisions
de renvoi ou de non-renvoi au Conseil constitutionnel, du Conseil d'État et de la
Cour de cassation, compte tenu des entraves matérielles que le confinement imposait
aux juridictions.
(4) Duverger M., La monarchie républicaine ou comment les démocraties se donnent
des rois, 1974, Robert Laffont.
(5) Nous nous permettons de renvoyer à Viala A., « Le macronisme ou le spectre de
l'épistocratie », Le Monde 19 oct. 2017, p. 22.
REVUE DU DROIT PUBLIC - N° Spécial-2021

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