Hors collection - Les États d'exception, un test pour l'État de droit (Revue du Droit Public - Numéro spécial) - 78

78
ALEXANDRE VIALA
en comptant sur l'accélération du processus de vaccination, a dû être corrigé
quelques semaines plus tard puisque les mesures de restrictions locales
furent étendues le 31 mars à tout le territoire. Néanmoins, malgré les appels
de nombreux scientifiques, le président de la République fit le choix d'éviter
un confinement strict identique à celui de la première vague, en annonçant
pour la mi-mai d'éventuelles perspectives de réouverture des établissements
culturels et des terrasses de restaurants, sous réserve d'un impact positif et
significatif des mesures de restriction.
Au moment où nous concluons cette étude, au milieu du mois d'avril 2021,
le bilan provisoire de l'action des pouvoirs publics face à la crise sanitaire
due à la Covid-19 nous permet donc d'avancer que l'état d'urgence sanitaire,
comme tout état d'urgence, a soumis la démocratie libérale à une très
rude épreuve sans pour autant changer la nature de l'État. L'exercice de sa
souveraineté demeure le monopole des représentants élus (50). En France, le
confinement national ne fut pas une décision du Conseil scientifique présidé
par un immunologue. Il s'agissait d'une décision du chef de l'État élu par son
peuple qui, éclairé par le savant, assuma ses choix de façon discrétionnaire en
fonction de considérations non exclusivement sanitaires. Aussi paradoxal que
cela puisse être, compte tenu de la réputation du philosophe anglais, la stratégie
du chef de l'État, moins dure que celle que préconisaient les médecins
qui l'éclairaient, est bel et bien d'inspiration hobbesienne. La philosophie
politique de Hobbes n'est pas réductible à une quelconque tentation qu'on
qualifierait aujourd'hui d'illibérale. Elle ne fait que souligner la dimension
décisionniste du métier politique. Toute la modernité de la doctrine de ce
philosophe consiste à tenir la décision du souverain, ni vraie ni fausse, pour
un acte libre et purement politique. En prescrivant avec discernement les
restrictions sanitaires, sans se caler aveuglément sur la ligne dictée par les
avis d'experts, le président de la République prit assurément des risques, qui
ne furent pas dénués d'arrière-pensées électorales, mais remplissait normalement
sa fonction, celle dont l'affreux Monsieur Hobbes, pour reprendre le
sobriquet de Voltaire, avait dessiné les contours. Certes, pendant cette crise
sanitaire inédite, comme l'ont notamment montré les atermoiements initiaux
liés à la pénurie des masques ou le défi démocratique causé par le report
des élections municipales, l'exécutif a succombé parfois à la tentation de se
servir de la caution des experts. Mais si la figure de Jupiter s'est épanouie
en Conseil de défense au risque d'aggraver, sur le dos de la science, la verticalité
de la ve
République, celle de Léviathan a vertueusement honoré le
(50) Le Conseil scientifique semble au demeurant avoir pris acte de ce principe
structurant de la démocratie qui est de nature à la prémunir du virus épistocratique.
Dans son avis du 29 mars 2021 au sujet du report au mois de juin 2021 des élections
régionales initialement prévues en mars, il admet explicitement qu'il incombe « aux
seules autorités politiques » d'arbitrer tant sur le maintien de la date que sur l'organisation
des opérations électorales et leur adaptation aux contraintes sanitaires.
REVUE DU DROIT PUBLIC - N° Spécial-2021

Hors collection - Les États d'exception, un test pour l'État de droit (Revue du Droit Public - Numéro spécial)

Table des matières de la publication Hors collection - Les États d'exception, un test pour l'État de droit (Revue du Droit Public - Numéro spécial)