Cours - Droit pénal général - 5e - 72

DROIT PÉNAL GÉNÉRAL
122 Jurisprudence. - Àl'inversedela loi écrite, la jurisprudence (c'est-à-dire les revirements, compléments
ou apparitions de jurisprudence)79
n'est classiquement pas soumise aux prescriptions de
l'article 112-1 du Code pénal : elle est par nature applicable aux affaires en cours, en ce qu'elle ne crée
pas le droit mais en révèle le sens - l'on sait néanmoins toute la part d'artifice de cette affirmation. La
chose n'est pas dommageable s'agissant de la rétroactivité in mitius,puisqu'une nouvelle interprétation
plus favorable que l'ancienne sera de toute façon appliquée sans attendre dans la procédure.
En revanche, la soustraction de la jurisprudence au mécanisme de non-rétroactivité in pejus est
problématique : il peut en effet en résulter l'application d'une qualification pénale ou d'une peine à
des faits auxquels, d'après l'interprétation suivie à l'époque de leur réalisation, elles n'étaient pourtant
pas jugées applicables. L'exigence de prévisibilité qui sous-tend le principe de légalité criminelle semble
donc méconnue en cecas : la lettredu texte n'a certes pas changé, mais son sens a évolué. La Cour
de cassation se montrait classiquement insensible à la critique80
. Au contraire, la Cour européenne des
droits de l'homme considère que la jurisprudence fait partie de la « loi » au sens matériel du terme et
que son application dans le temps doit par conséquent se faire dans le respect des règles de l'article 7
de la Convention européenne. Elle en conclut que si la « rétroactivité » des nouvelles interprétations
jurisprudentielles n'est pas par principe prohibée81
, de telles interprétations ne peuvent toutefois s'appli;
en résumé, « on ne saurait interpréter l'article 7 de la
.Cette condition n'est donc pas remplie
quer à des actes réalisés avant leur apparition qu'àlacondition qu'elles fussent accessibles et raisonnablement
prévisibles au jour des faits82
Convention comme proscrivant la clarification graduelle des règles de la responsabilité pénale
par l'interprétation judiciaire d'uneaffaireà l'autre, à condition que le résultat soit cohérent avec
la substance de l'infraction et raisonnablement prévisible »83
en cas de revirement inopiné de jurisprudence ou, dans l'hypothèse d'un problème juridique inédit, en
cas de consécration d'une interprétation qui ne pouvait être raisonnablement devinée au vu de la
lettre du texte. La Cour de justice de l'Union européenne est d'un avis comparable84
cassation ne s'est pas immédiatement ralliée à cette position85
. Mais la Cour de
.Ainsi, dans l'arrêt Pessino,l'assemblée
plénière, chargée de réexaminer l'affaire après condamnation de la France par la Cour européenne, a
préférése fonder sobrement sur leprincipedel'interprétation stricte de la loi pénale pour abandonner
l'interprétation (imprévisible) qu'avait initialement faite la chambre criminelle86
montré un signe très discret d'évolution87
. Au surplus, après avoir
non-rétroactivité ne s'applique pas à une simple interprétation jurisprudentielle »88
,elle a réaffirmé que,de manière générale,« le principe de
.
79. V. J.-Ch. SAINT-PAU, « Le revirement d'interprétation », in F. STASIAK (dir.), Histoire et méthodes d'interprétation en droit criminel, Dalloz, coll.
Thèmes & commentaires, 2015, p. 175.
80. Cass. crim., 5mai 2004, nº 03-82801 ; 30janv. 2002, nº 01-82593, Bull. crim., nº 16.
81. CEDH, 30 août 2011, Boumaraf c/France, nº 32820/08 : « les exigences de la sécurité juridique et de protection de la confiance légitime
des justiciables ne consacrent pas un droit acquis à une jurisprudence constante [et] une évolution de la jurisprudence n'est pas en soi
contraire à une bonne administration de la justice ».
82. CEDH, 10 oct. 2006, Pessino c/France,nº 40403/02, D. 2007, 124, note D. ROETS ; JCP2007, II, 10092, note D. ZEROUKI-COTTIN:« faute au minimum
d'une interprétation jurisprudentielle accessible et raisonnablement prévisible, les exigences de l'article 7 ne sauraient être regardées
comme respectées ». CEDH, gr. ch., 21 oct. 2013, Del Río Prada c/Espagne, nº 42750/09. Rappr. CEDH, 12juill. 2018, Allègre c/France,en matière
de procédure pénale.
83. CEDH, 1er
déc. 2016, X. et Y. c/France, nº 48148/11.
84. CJCE, 8 févr. 2007, nº C-3/06 ; 28juin 2005, nº C-189/02.
85. Comp. Cass. crim., 27juin 2012, nº 11-86773.
86. Cass. ass. plén., 13 févr. 2009, nº 01-81826, Bull. crim. ass. plén.,nº 1.
87. Cass. crim., 16 avr. 2013, nº 12-80773.
88. Cass. crim., 2 févr. 2016, nº 15-84356. En revanche, dans d'autres domaines, la Cour de cassation et le Conseil d'État admettent depuis
plusieurs années de moduler dans le temps la prise d'effet de leur jurisprudence (comp. Cass. crim., 11 avr. 2018, nº 17-86237, Bull. crim.,à
paraître).
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