Hors collection - Droit et déontologie des magistrats - 20

DROIT ET DÉONTOLOGIE DES MAGISTRATS
dernier tiers du XI siècle, cette renaissance prend corps par l'étude neuve des textes
e
oubliés de droit romain dont l'empereur Justinien, au VI siècle, avait commandé la
e
composition38.Le Corpus Juris Civilis, déjà promulgué dans un contexte chrétien, est
lu, compris et adapté au cadre médiéval. En France, des juristes (nommés « légistes
») sont formés dans les universités d'abord par les maîtres italiens (Bologne,
puis Padoue), ensuite par des docteurs cisalpins - à Montpellier, à Orléans, à
Toulouse... Entre la première moitié du XII
e siècle et le XIV siècle, les canonistes (spée
cialistes
du droit de l'Église) emboîtent le pas aux romanistes (spécialistes du droit
romain) dans ce mouvement de renouvellement des études juridiques. Les institutions
ecclésiastiques, qui s'étaient formées dans l'empire romain, ont logiquement
tiré le meilleur profit de cette renaissance du droit romain. Les sources de droit canonique
se précisent. Tel est le cas avec le Décret de Gratien (1140), puis avec la législation
pontificale ou conciliaire (1234 avec les Décrétales de Grégoire IX, 1298 avec le
Sexte de Boniface VIII, 1322 avec les Clémentines de Clément V promulguées par
Jean XXII). Un formidable appareil critique se constitue (gloses, commentaires, traités)
dans le cadre de la contradiction académique médiévale, faisant émerger opinions
majoritaires et opinions dissidentes, dont la pratique se nourrit, à commencer
par les magistrats, qui sont formés dans les universités. On voit donc que les sources
textuelles qui vont servir de fondement argumentatif à la réflexion tant sur la
discipline des juges que sur leur déontologie rassemblent essentiellement : les Écritures,
bien sûr (Ancien et Nouveau Testaments), le Corpus Juris Civilis,le Décret de
Gratien, les divers recueils de « décrétales », selon les époques.
Le point de départ de ce que nous pourrions appeler une éthique judiciaire est
donc médiéval. Mais au-delà, il faut prendre conscience que l'histoire de cette
éthique se construit sur une dynamique dialectique qui a pour corollaire l'évolution
même du statut de la magistrature royale. La dynamique est la suivante : le
roi de France, ici saint Louis (Louis IX) se dote donc d'une véritable administration
judiciaire hiérarchisée dont il fixe lui-même les canons éthiques ; la doctrine française
qui nous est parvenue, composée de juges, consolide le projet royal ; une
haute magistrature se constitue qui, peu à peu, prend son indépendance vis-àvis
du pouvoir royal ; à l'issuedela Guerre deCent ans, au milieu du XV
e siècle
(extrême fin du Moyen Âge), le roi (Charles VII) durcit à la fois le statut et l'éthique
des magistrats, alors que d'autres cours souveraines, en plus de Paris, sont
créées par le pouvoir royal39 ; la doctrine - notamment les canonistes - perfectionne
le contenu de l'office du juge (contenu des devoirs et des pouvoirs du juge),
ce qui touche, par capillarité, la pratique judiciaire des juridictions royales. Aussi,
alors que le statut est maîtrisé par le roi, la doctrine reporte sa réflexion sur les
marges de manœuvre que lui offre la procédure. Observons.
38. Ensemble plus tard nommé Corpus Juris Civilis : le Corps du droit civil, composé du Code (recueil raisonné des lois
impériales), du Digeste (recueil raisonné de la doctrine casuiste romaine), des Institutes (manuel abrégé de droit
synthétisant les deux premiers ouvrages) et des Novelles (compilation des lois de Justinien promulguées postérieurement
au Code).
39. 1443 : Parlement de Toulouse ; 1451 : Parlement de Bordeaux ; 1453 : Parlement de Grenoble (Dauphiné) ;
1477 : Parlement de Dijon (Bourgogne) ; 1485 : Parlement de Bretagne ; 1499 : Parlement de Normandie.
Créés successivement sous les règnes de Charles VII (1422-1461), Louis XI (1461-1483), Charles VIII (1483-1498)
et Louis XII (1498-1515). D'autres parlements seront créés par la suite, ainsi que plusieurs Conseils souverains.
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