Hors collection - Droit et déontologie des magistrats - 258

DROIT ET DÉONTOLOGIE DES MAGISTRATS
Enfin, comment mettre à l'abri les magistrats d'actions abusives et répétées
puisque, par essence, leur fonction génère du mécontentement ? En effet, le Conseil
supérieur de la magistrature rappelle souvent que l'écrasante majorité des justiciables
diligentant une action disciplinaire sur la base de l'article 50-3 de l'ordonnance
du 22 décembre 1998 conteste non le comportement des magistrats, mais le
contenu des décisions juridictionnelles. Autrement dit, les justiciables confondent
action disciplinaire et voie de recours lorsqu'ils sont mécontents de la décision tranchant
leurs litiges46.
2) Une complémentarité inutile
323 › Un problème... déplacé. - La liaison entre responsabilité de l'État et discipline
du magistrat ne parvient pas à régler tous les problèmes relatifs à la
responsabilisation des juges. En effet, certaines difficultés, substantiellement
liées à la responsabilité du juge, ne seront pas réglées, mais déplacées au
stade disciplinaire. Par exemple, l'on sait très bien que la jurisprudence est
très réticente à engager la responsabilité de l'État du fait du contenu d'une décision
juridictionnelle alors que les articles L. 141-1 et suivant du Code de l'organisation
judiciaire n'établissent pas de distinction entre les différentes activités
des magistrats. En d'autres termes, toute activité du juge pourrait, en principe,
engendrer une action en responsabilité. La jurisprudence de la Cour de cassation
a déjà pu préciser que le contenu d'une décision juridictionnelle pouvait
engager la responsabilité de l'État, mais, concrètement, l'analyse du contentieux
montre que cette hypothèse est extrêmement rare pour plusieurs raisons.
D'une part, l'exercice normal des voies de recours permet, généralement, de remettre
en cause le contenu d'une décision juridictionnelle et, d'autre part, cette protection
totale permet d'éviter toute discussion sur le caractère fautif ou non du contenu
d'une décision juridictionnelle. En effet, comment différencier une appréciation erronée
non fautive (qui devrait être corrigée par l'exercice des voies de recours) d'une
appréciation erronée fautive (qui doit engager la responsabilité de l'État). La position
tranchée de la jurisprudence, empêchant toute responsabilité du fait du contenu
d'une décision juridictionnelle, évite surtout et avant tout, cette question chimérique
de la limite entre exercice des voies de recours et action en responsabilité. Or, le
juge disciplinaire est confronté au même problème d'appréciation, le forçant ainsi
à adopter la même solution que le juge de la responsabilité : une décision judiciaire
ne peut servir de fondement à des poursuites disciplinaires47.
46. CSM, Rapport d'activité, La Documentation française, 2016, p. 84 : « Les raisons de la très faible proportion de
plaintes pouvant être déclarées recevables ont déjà été abondamment analysées dans les rapports d'activité précédents
et l'année 2016 n'a pas apporté d'évolution notable à cet égard. En premier lieu, les plaignants continuent
de considérer que l'appel au Conseil est une voie de recours contre une décision qui ne les satisfait pas,
sans d'ailleurs chercher à caractériser la moindre faute disciplinaire. En deuxième lieu, les plaignants éprouvent
des difficultés à prouver les griefs qu'ils avancent ou à identifier la procédure ou le magistrat concerné ».
47. CSM, 14 déc. 1994, S081 : « attendu que le Conseil supérieur de la magistrature, réuni comme conseil de discipline
des magistrats du siège, ne porte aucune appréciation sur les actes juridictionnels, lesquels actes relèvent de
la conscience et du seul pouvoir des juges, sous réserve des voies de recours prévues par la loi » ; CSM, 13 juin
2006, S161 : « mais attendu que les décisions judiciaires soumises au seul exercice des voies de recours ne peuvent
servir de fondement à des poursuites disciplinaires ».
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