Hors collection - Droit et déontologie des magistrats - 26

DROIT ET DÉONTOLOGIE DES MAGISTRATS
germanique ne pouvait souffrir de voir ses juges placés sous la tutelle des juges
d'Église sur son territoire impérial. Aussi Martinus, conscient de cet écueil politique,
affirma que la récusation pouvait être proposée aussi bien à l'encontre d'un juge
délégué que d'un juge ordinaire, en se fondant sur une autre loi du Code,la loi Nemo
(C., 3, 14, 4). Cette loi remontait à Constantin (331), donc bien avant la loi Apertissimi
de Justinien, et affirmait qu'il était impossible de « décliner la compétence du juge
ordinaire » après la litis contestatio, moment du procès qui équivaut aujourd'hui à
l'ordonnance de mise en état. Pour résumer, selon Bulgarus, la récusation ne peut
être actionnée qu'àl'encontre du juge délégué, peu importe le moment du procès ;
tandis que Martinus affirme qu'elle est possible à l'encontre de tout juge, même
ordinaire, pourvu qu'elle soit présentée par requête avant la litis contestatio.L'opinion
de Martinus, sur ce point, allait triompher, y compris en matière canonique.
Avec cette conséquence majeure que, seulement possible avant la litis contestatio,
la récusation devenait un genre d'exception de procédure, puisque les exceptions ne
pouvaient être proposées qu'avant la litis contestatio. Ainsi, tout ce qui pouvait toucher
la suspicio, ce que nous nommerions aujourd'hui la partialité du juge, fut, dans
la seconde moitié du XII
e siècle, assimilé à cette exception de procédure spéciale
qu'était devenue la récusation du juge. Le mot récusation devint même le synonyme
d'exceptio suspicionis. Avec cette conséquence fondamentale que l'impartialité du
juge faisait maintenant l'objet d'une réglementation procédurale : en tant qu'exception,
c'était à la partie qui supportait la partialité d'exciper. Si les parties n'excipaient
pas, le juge pouvait siéger, indépendamment de toute considération déontologique :
il n'était pas tenu de s'empêcher. Tancrède de Bologne († vers 1236), auteur au
début du XIII
e siècle de l'un des plus célèbres traités de procédure, donna ainsi la
définition suivante à la récusation du juge : Recusatio est audientiae vel jurisdictionis
declinatio per exceptionem suspicionis oppositam « La récusation est le rejet (declinatio)
delajuridiction par l'opposition d'une exception de suspicion ».
9 › L'apport de la doctrine médiévale. La récusation : d'une exception de procédure
vers le manquement du juge à son office. - C'est au milieu du XIII
que la doctrine va se préciser et prendre un tour particulier qui influencera la
législation royale et la pratique. Jusque-là, la récusation du juge est donc considérée,
tant par les civilistes que les canonistes, comme une exception de procédure
spéciale. Si la causa suspicionis est unique (la suspicion elle-même) cette
dernière peut être révélée par plusieurs situations, dont Tancrède de Bologne
dresse une liste non exhaustive : si le juge est de la même famille que l'adversaire
(par consanguinité ou par affinité) ; s'il est de son entourage proche (familier
ou commensal) ; s'il est, dans le cadre de rapports féodaux, son seigneur ou
son vassal ; s'il a été juge d'appel en la cause ou dans une autre cause liée à
l'adversaire ; s'il est connu pour être un ennemi du justiciable. Une telle conception
de la récusation, enchâssée dans une procédure stricte, par ailleurs liée à
l'instauration de l'appel, avait le mérite de contraindre les juges bien mieux que
ne le firent les multiples rappels du roi à leur loyauté ou à leur intégrité.
C'est en la sénéchaussée de Toulouse, en Languedoc, au moment où saint Louis
promulgue ses ordonnances de moralisation de la vie judiciaire, qu'un juge, Neveu
de Montauban, va rédiger un ouvrage opérant la synthèse entre la doctrine et la pratique
judiciaires. Neveu rédige un traité de procédure entre 1258 et 1268 dans lequel
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e siècle
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