Hors collection - Droit et déontologie des magistrats - 29

HISTOIRE DE LA DÉONTOLOGIE DES MAGISTRATS
milieu du siècle suivant, à l'issue de la Guerre de Cent ans, Charles VII promulgue
plusieurs ordonnances qui, elles aussi, précisent le périmètre du statut de
la magistrature (ordonnance de 1446 et de 1454). Les motifs d'une telle maîtrise
sont multiples. Mais parmi eux, la volonté de maîtriser l'office du juge en dominant
ses aspects moraux figure un enjeu de taille pour s'assurer de la parfaite
docilité des juges. Or, cette tentative eut pour effet, outre une partielle mise au
pas des juges en tant qu'agents administratifs (en tant que fonctionnaires en
somme), de révéler la grande indépendance des magistrats dans l'acte de
juger. Or, à l'inverse aujourd'hui, par l'effet de l'article 64 de la Constitution de
1958 « le président de la République est garant de l'indépendance de l'autorité
judiciaire » et par un processus historique connu54,c'est bien le statut qui
découle de l'indépendance constitutionnellement garantie. Cinq siècles ont
suffi à renverser un paradigme fondateur de la déontologie des juges. Car tant
qu'elle n'était pas affirmée comme un principe fondamental de l'État, l'indépendance
des juges devait être démontrée sans cesse, martelée comme un mantra
accompagné d'éléments de preuve dans un but évident : faire accepter le jugement
d'actes humains par un humain imparfait. Or, dans cette opération, deux
discours distincts s'opposent non dans leur finalité, identique, mais dans leur
cheminement. Le premier discours, légal, disciplinaire, est celui du roi, qui
façonne l'indépendance à travers sa maîtrise du statut et de l'organisation judiciaire.
Le second discours, déontologique, émane des juges eux-mêmes et s'appuie,
contrairement aux apparences, sur les principes de la procédure. Curieux
paradoxe de ces deux discours antinomiques à la finalité identique, à savoir la
démonstration de l'indépendance des juges. À la vérité, les deux discours sont
complémentaires. Sans le discours des juges, celui du roi n'aurait que la sécheresse
technique d'une organisation réglementaire ; sans le discours du roi,
légal, managérial dirait-on aujourd'hui, celui des juges ne serait qu'un amas de
prétentions vaniteuses, un aveu de supériorité déplacé. Raison pour laquelle
l'affirmation constitutionnelle, en 1958, eut pour effet d'annihiler tout discours
déontologique, ce dernier étant entièrement absorbé, rendu inopérant, par la
détermination du statut, lui-même conditionné par la déclaration constitutionnelle
d'indépendance.
Or, il semble que nous assistions depuis quelques années, à un renouveau des
préoccupations déontologiques. C'est que l'affirmation constitutionnelle de l'indépendance
de l'autorité judiciaire est en quelque sorte rendue caduque par des exigences
internationales qui ne sauraient se satisfaire d'une déclaration de principe.
L'impartialité subjective et objective, la transparence, la chasse aux conflits d'intérêts
proposent le retour de la vertu en actes : le retour à l'honestas du juge. Par une
sorte de réflexe légaliste, ces derniers impératifs sont régularisés dans les textes
traitant du statut. Mais la tentative est insuffisante : on s'en tient aux déclarations
de principe, aux interdictions, aux incompatibilités, aux incapacités ou aux incompétences.
Ce qui manque à cet appareil réglementaire, à ce discours légal, c'est l'autre
discours, celui, déontologique, du juge : la démonstration publique et raisonnée, la
mise à nu, en somme, de sa conscience et à l'intérieur de celle-ci, la manifestation
54. B. Bernabé, « Le statut de la magistrature à l'époque moderne. Notes sur les conditions historiques de l'indépendance
des magistrats », O. Descamps (dir.), Le statut du magistrat, éd. Panthéon-Assas, 2020, p. 53-70.
29
Hors collection - Droit et déontologie des magistrats

Table des matières de la publication Hors collection - Droit et déontologie des magistrats
