Hors collection - Droit et déontologie des magistrats - 87

LE STATUT DES MAGISTRATS
de laquelle il avait affirmé que : « l'autorité indivisible de l'État est confiée tout
entière au Président par le peuple et [...] il n'en existe aucune autre, ni ministérielle,
ni civile, ni militaire, ni judiciaire qui ne soit conférée et maintenue par
lui ». C'est de ce point de vue à juste titre que Pierre Delvolvé a pu écrire, dans
un article de 2018 portant sur « L'indépendance de la justice administrative et de
la justice judiciaire : une comparaison » : « c'est une conception proprement
royale de l'État et de la justice dans l'État, à l'instar de celle que Louis XV exprimait
le 3 mars 1766 devant le Parlement de Paris lors de la séance " de la
flagellation " »14.
92 › Une place expliquée par l'histoire. - Sans remonter à l'image d'un saint
Louis rendant la justice sous son chêne et aux adages de l'Ancien Régime
selon lesquels : « Le roi est fontaine de justice » ou « La justice est le véritable
office des princes », l'image d'un lien positif entre le chef de l'État et la justice
judiciaire s'inscrit dans le passé. En témoigne le droit de grâce réintroduit après
la Révolution par le sénatus-consulte consulaire de l'an XII et maintenu, sans
exception, par toutes les Constitutions républicaines à partir de 1848, y compris
celle actuelle du 4 octobre 1958 (art. 17). Beaucoup plus proche de l'avènement
de la Ve
République, la Constitution du 27 octobre 1946, en faisant du président
de la République le président du Conseil supérieur de la magistrature, a permis
à Vincent Auriol (1947-1954) de s'ériger en protecteur résolu de la magistrature.
C'est ainsi que, dans ses mémoires, Le journal d'un septennat,l'ancien chef de
l'État, qui avait préconisé dès 1945 l'institution d'un « Conseil suprême de justice
», évoque l'un de ses conflits avec la chancellerie : « [Le Conseil est] en
matière judiciaire, au-dessus du gouvernement ; sur ce point je ne changerai
pas d'attitude, je me battrai même s'il le faut par message devant le
Parlement »15.
93 › Une place partiellement justifiée par le droit positif. - Lors du passage à
la Ve
République, ce rapport entre le président de la République et la magistrature
a été confirmé et explicité. Ce mouvement n'est toutefois pas allé de soi,
puisque, lors des travaux préparatoires, Michel Debré avait initialement défendu
un lien particulier avec le « garde des Sceaux », estimant que maintenir la présidence
du Conseil supérieur de la magistrature au chef de l'État serait « une
sorte d'abaissement de la fonction présidentielle »16. Mais cette position s'est
finalement imposée comme concordante avec l'article 5 de la Constitution qui
prévoit que le président de la République « veille au respect de la Constitution.
Il assure, par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ».
Or, d'une part, ce rôle dévolu au chef de l'État a souvent été rapproché de celui
du « pouvoir neutre » théorisé par Benjamin Constant en 1814-1815 et dont il
disait : « lorsque les pouvoirs publics se divisent et sont prêts à se nuire, il faut
une autorité neutre, qui fasse à leur égard ce que fait le pouvoir judiciaire à
l'égard des individus... Le pouvoir [neutre] est, en quelque sorte, le pouvoir
14. P. Delvolvé, « L'indépendance de la justice administrative et de la justice judiciaire : une comparaison », Mélanges
É. Zoller : Penser le droit à partir de l'individu, Dalloz, 2018, 600 p.
15. 17 mars 1949. Cité par J.-P. Jean, « L'évolution du statut du magistrat entre 1918 et 1958 : la justice dans l'État,
avant la justice dans l'État de droit », Les Cahiers de la justice, nº 1, 2018, p. 158.
16. DPS, vol. II, 1988, p. 158.
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