Bibliothèque de droit privé - Tome 620 - Le droit international privé de la famille à l'épreuve de l'impératif de reconnaissance des situations - 111

ANALYSE CRITIQUE DU CADRE CONCEPTUEL TRADITIONNEL
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Ensuite, la persistance de la figure de la société internationale, en ce qu'elle fait
écran, pourrait constituer un obstacle à l'appréciation satisfaisante des intérêts des
individus. On peut en effet considérer que les intérêts des personnes privées sont
demeurés les parents pauvres de la trilogie17
tique entre intérêts de l'État et ceux de la société internationale18
, ils
, relégués au second plan par la dialec.
Ainsi, dans l'étude
de Marie-Claude Najm par exemple, les intérêts privés n'apparaissent-ils qu'en filigrane
dans un modèle structuré par la dichotomie entre « principes à finalité internationale
» et « principes à finalité interne » : plutôt associé aux premiers19
peuvent parfois appuyer les seconds20
. Serait-ce parce que les réflexes de droit
? Cela pourinterne
ont contaminé malgré eux les internationalistes et les ont accoutumés à ce
que les intérêts des personnes privés revêtent un caractère substantiel21
rait expliquer que les raisonnements abstraits sur lesquels s'est bâtie la théorie générale
du droit international privé aient été plus naturellement élaborés par référence
à l'intérêt de la société internationale. Que cette conjecture soit fondée ou non, la
conviction qu'il faut mettre les individus sur le devant de la scène milite en faveur de
l'éviction d'un concept qui pouvait certes servir de relais à certains de leurs intérêts,
mais risquait aussi de nuire à une juste appréciation de ceux-ci.
117. Au terme de cette première étape, on en arrive donc à appréhender la
discipline au travers de la mise en tension des intérêts de l'ordre juridique du for
et de ceux des personnes privées. Bien entendu, chacun de ces termes a été abondamment
interprété et analysé. Ainsi, M. Remy a-t-il été conduit à proposer
d'entendre par « intérêt de l'ordre juridique du for », expression à laquelle il
préfère d'ailleurs celle d'« intérêt étatique », « l'intérêt qui dérive de l'appréciation
que l'État porte sur sa production normative », excluant ainsi tout rôle des
« éléments constitutifs de l'État »22
. Avant lui, Pierre Mayer avait considéré que,
des trois figures de l'intérêt de l'État qui avaient été explorées par la doctrine,
chacune correspondant à une manière d'appréhender celui-ci - « l'intérêt de
l'État personnifiant la collectivité nationale », « l'intérêt de l'État souverain » et
« l'intérêt de l'État titulaire du pouvoir normatif » -, la troisième, l'intérêt de
l'État législateur, était la plus « compatible avec une analyse moderne du conflit
de lois et de juridictions »23
.
17. En dépit du consensus en doctrine pour considérer que l'objet du droit international privé
n'est pas de résoudre des conflits de souverainetés mais des questions de droit privé, v., sur cet aspect,
infra n° 123.
18. Dialectique qui n'est d'ailleurs pas sans rappeler celle que Martti Koskenniemi voit à l'œuvre
en droit international public entre souverainetés étatiques, d'une part, et société internationale, d'autre
part. Pour l'exposé de ces deux logiques qu'il qualifie respectivement d'ascendante et de descendante
en s'inspirant des travaux du médiéviste autrichien Ullmann sur les théories ascendantes (à partir du
peuple) et descendantes (à partir de Dieu) de l'autorité politique, v. From Apology to Utopia - The
Structure of International Legal Argument, Helsinki, Finnish Lawyers' Publishing Company, 1989,
spéc. p. 41. Si cette approche s'avère fructueuse dans le versant publiciste du droit international, ne
conviendrait-il pas de s'en écarter dans le versant privatiste, où les intérêts privés doivent se voir
reconnaître un poids plus significatif ? Sur les analyses de M. Koskenniemi, v. not. R. Wai,
« Transnational Liftoff and Juridical Touchdown: The Regulatory Function of Private International
Law in an Era of Globalization », Colum. J. Transnat'l L., (40) 2002, p. 209-274, p. 240.
19. M.-C. Najm, op. cit., n° 111, p. 104.
20. Ibid., n° 117, p. 109. V. aussi Ph. Francescakis, « Perspectives du droit international privé... »,
préc., p. 132, qui identifie au cœur de la pensée du doyen Batiffol la considération « du heurt, toujours
possible, entre les objectifs de la communauté nationale et ceux du commerce international ».
21. Ce qui n'est pas le cas dans le cadre d'analyse traditionnel, v. infra n° 120-121.
22. B. Remy, Exception d'ordre public..., préc., n° 151-171, p. 83-96
23. P. Mayer, « L'État et le droit international privé », Droits, (16) 1993, p. 33-44, spéc. p. 38-44.

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