Bibliothèque de droit privé - Tome 620 - Le droit international privé de la famille à l'épreuve de l'impératif de reconnaissance des situations - 114

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Le droit internationaL privé de La famiLLe
À L'épreuve de L'impératif de reconnaissance des situations
122. Si ce point est admis, il n'y a d'autre issue que d'opérer un choix :
conserver les intérêts des personnes privés ou leur substituer l'intérêt de la personne.
La seconde branche de l'option présente, de toute évidence, l'avantage
sérieux de marquer la rupture avec les conceptions traditionnelles du droit international
privé, plus particulièrement avec l'appréciation purement abstraite des
intérêts individuels dont il paraît aujourd'hui souhaitable de se départir, nous
l'avons dit. Cette solution radicale présente néanmoins deux inconvénients qui,
selon nous, justifient qu'elle soit écartée. Le premier est qu'inciter ainsi à faire
disparaître toute abstraction de la détermination des intérêts individuels expose
au risque d'un basculement de l'ensemble du système dans la casuistique ; du
reste, Mme Gannagé elle-même ne le propose pas. Le second est qu'une référence
à l'intérêt « de la personne » donne une impression trompeuse d'unité alors que,
par définition, les situations familiales font intervenir plusieurs personnes dont
les intérêts substantiels au moins seront fréquemment divergents36
.
En définitive, la meilleure solution semble bien être de continuer à raisonner
en termes de dialectique des intérêts de l'ordre juridique du for et des intérêts des
personnes privées, en tenant à l'esprit que les seconds doivent désormais intégrer
une dimension concrète en sus de la dimension abstraite qui était traditionnellement
la leur. Une personne ne peut-elle pas avoir un intérêt abstrait à ce que son
statut familial circule sans difficultés et un intérêt concret, éventuellement variable,
à faire valoir ce statut ? Selon le contexte dans lequel l'équilibre entre intérêt étatique
et intérêt privé sera recherché, l'une ou l'autre de ces composantes sera prépondérante.
Sur cette base, il est possible d'examiner de plus près la manière dont
le droit international privé doit rechercher cet équilibre.
§ ii. lA diAlectiqUe des intÉRêts des PeRsonnes PRivÉes
et de ceUx de l'oRdRe jURidiqUe dU FoR
La supériorité des intérêts privés sur les intérêts étatiques est présentée
comme l'un des fondements du cadre d'analyse traditionnel (A), néanmoins un
examen attentif des solutions positives révèle une réalité sensiblement plus
nuancée. Le constat de cette ambiguïté conduit à admettre la nécessité d'une
évolution du droit international privé, afin que cette discipline reflète enfin la
hiérarchie entre intérêts privés et intérêts étatiques telle qu'elle est ostensiblement
proclamée (B).
A. LA SUPÉRIORITÉ AFFICHÉE DES INTÉRêTS PRIVÉS
DANS LA TRILOGIE TRADITIONNELLE
123. L'affirmation de la prééminence des intérêts des personnes privées est
relativement ancienne, ainsi Batiffol, revenant après trente-cinq ans sur la préface
que Julliot de la Morandière avait écrite pour sa thèse, écrit-il que ce texte
« exprime la conviction, communiquée par l'auteur à son élève, que l'objet concret
des règles de droit international privé est la solution de questions de droit privé »37
.
36. Sur le particularisme de la juridiction gracieuse, v. infra n° 405, et les notes.
37. H. Batiffol, « Réflexions sur une préface », in Études juridiques offertes à Julliot de la
Morandière, Paris, Dalloz, 1964, p. 37-45, p. 39.

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