Bibliothèque de droit privé - Tome 621 - La théorie générale des conflits de lois à l'épreuve de l'individualisme - 503

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LA THÉORIE GÉNÉRALE DES CONFLITS DE LOIS À L'ÉPREUVE DE L'INDIVIDUALISME
exemple, selon J. Guillaumé, la reconnaissance des situations devrait bénéficier d'un
rayonnement plus étendu en « affirm[ant] de façon plus générale que le droit à la
mobilité internationale est un droit de l'homme »274. A. Bucher y a aussi insisté en
constatant qu'au sein de notre « monde globalisé », il est nécessaire que l'individu
bénéficie d'une « liberté de s'épanouir dans tout système social, économique et juridique
» sans être gêné par des « obstacles ou entraves qui pourraient se mettre en travers
du chemin »275. Chaque individu devrait ainsi avoir un droit à ce que sa situation
« ne soit pas exposée à une pluralité de solutions juridiques »276. La reconnaissance
des situations paraît avoir de beaux jours devant elle, et P. Lagarde y voit même
«l'avenir du droit international privé »277. Pour l'heure, ces considérations ne sont
cependant que prospectives. L. d'Avout l'a opportunément rappelé en soulignant que
« dans l'état actuel des choses, il n'existe point de droit subjectif à la continuité des
situations transfrontières »278. Le constat s'impose en effet, mais la puissance de la
dynamique individualiste qui soutient le développement de ce mécanisme est peutêtre
de nature à en fragiliser la pérennité279. Ses partisans ont alors beau jeu de lui
prédire un avenir « prometteur »280. La réalisation de cet augure pourrait néanmoins
faire courir quelques risques à la discipline et à l'homogénéité de la vie collective.
L'étude de la portée radicalement individualiste de la reconnaissance des situations
permettra de le mesurer.
274. Ibid., p. 346.
275. A. BUCHER, « La dimension sociale du droit international privé », préc., p. 119, soulignant
qu'il faut que ces obstacles juridiques « soient éliminés ou réduits au minimum ».
276. Ibid., p. 119.
277. P. LAGARDE, « La méthode de la reconnaissance est-elle l'avenir du droit international
privé ? », préc., pp. 41-42, évoquant l'avenir de cette technique, l'auteur souligne que la discipline pourrait
conserver à la méthode conflictuelle son rôle pour la « création des situations », mais qu' « une fois celles-ci
créées, la place doit être laissée à la méthode de reconnaissance ».
278. L. D'AVOUT, « Droits fondamentaux et coordination des ordres juridiques en droit privé », in
E. DUBOUT et S. TOUZÉ (dir.), Les droitsfondamentaux : charnières entre ordres et systèmesjuridiques,
éd. A. Pedone, Paris, 2010, pp. 165 et s., spéc. p. 184.
279. En raison de ses fondements, il faut toutefois noter que la reconnaissance des situations est
encore pour l'heure cantonnée aux juridictions de l'Union européenne ou de la Cour de Strasbourg puisqu'elle
se développe à partir des instruments que sont les libertés économiques et la convention européenne
et l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme. Le juge national paraît ainsi continuer à
raisonner de manière plus classique, voir par exemple : Cass. 2e
civ., 14 février 2007, JDI., 2007.933, note
B. BOURDENOIS, à propos de la reconnaissance d'un mariage polygamique par le biais de l'ordre public
atténué ; Cass. 1re
civ., 8juillet 2010, JCP., 2010.1173, note H. FULCHIRON ; Rev. crit. DIP., 2010.747,
note P. HAMMJE ; JDI., 2010.119, note S. BOLLÉE, à propos de la reconnaissance du partage de l'autorité
parentale au sein d'un couple femmes par le biais de l'ordre public atténué. Ces arrêts sont cités par :
D. BUREAU et H. MUIR WATT, op. cit., t. I, p. 724, soulignant à cet égard que ces arrêts prouvent que
les méthodes classiques de la discipline permettent un traitement satisfaisant de ces questions, ce qui tend à
relativiser nettement les nécessités invoquées au soutien de la reconnaissance des situations. Sur cela, voir
aussi : H. MUIR WATT, « La reconnaissance entre philosophie politique et droit international privé », in
P. LAGARDE (dir.), La reconnaissance des situations en droit international privé, préc., pp. 85 et s., spéc.
p. 94, analysant « l'infléchissement » qu'impose les droits fondamentaux et la reconnaissance des situations
à la méthode de la règle de conflit classique, et constatant l'indépendance de l'approche conflictuelle et de
l'approche proportionnelle de la reconnaissance car la règle de conflit n'est pas absorbée par la reconnaissance
mais elle est simplement contrainte et mise au second rang par l'intervention du raisonnement spécifique
aux droits de l'homme et à la reconnaissance.
280. J. GUILLAUMÉ, L'affaiblissement de l'État-Nation et le droit internationalprivé, préc., p. 341,
soulignant que la vigueur normative des fondements de la reconnaissance des situations devrait assurer son
extension générale : « Portée par les libertés fondamentales de l'Union européenne et les droits fondamentaux,
son avenir s'annonce prometteur, même dans les pays qui, comme la France, n'ont pour l'instant pas
totalement adopté la méthode ».

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