Bibliothèque de droit privé - Tome 621 - La théorie générale des conflits de lois à l'épreuve de l'individualisme - 52

LA REPRÉSENTATION COMMUNE DE L'INDIVIDUALISME
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31. L'analyse durkheimienne du type social individualiste de la société
moderne. L'analyse durkheimienne de la société moderne démontre l'influence décisive
du type social individualiste. Elle révèle également l'incidence de la structure
individualiste de la collectivité sur le phénomène juridique. Le lien que Durkheim
trace entre ces éléments constitue en effet l'un des apports essentiels de la pensée du
sociologue, du moins telle que les juristes l'ont retenue81. Il fut mis en lumière par le
constat formulé par l'auteur, selon lequel la très forte dépendance de l'individu à
l'égard du groupe dans les sociétés holistes traditionnelles s'y exprime par une prééminence
du droit de type répressif qui manifeste précisément cette emprise du collectif
sur l'individu. Selon le sociologue, « il existe une solidarité sociale qui vient de ce
qu'un certain nombre d'états de conscience sont communs à tous les membres de la
même société. C'est elle que le droit répressif figure matériellement, du moins dans ce
qu'elle a d'essentiel »82.À l'inverse, l'indépendance plus grande de l'individu à
l'égard du groupe au sein des sociétés modernes individualistes se traduit par la
place nettement prépondérante du droit civil et collaboratif par rapport au droit
pénal et répressif83. La composition du système juridique traduit alors fidèlement la
structure de la société et les liens qui existent entre les individus et le collectif. En
effet, par sa sanction essentiellement « restitutive »84, le droit civil ne vise pas tant à
punir une transgression des valeurs collectives qu'à corriger un déséquilibre dans les
rapports privés et interindividuels qui structurent désormais prioritairement la vie collective.
L'extension de l'indépendance des individus vis-à-vis du groupe se manifeste
donc par le recul symbolique de la peine et par le développement corrélatif de la sanction
civile et des conventions librement passées par les individus dans les nombreux
échanges qu'ils entretiennent les uns avec les autres. Le droit acquiert ainsi une fonction
principalement régulatrice dans les relations que les individus nouent entre eux
de sorte que sa composante punitive se trouve nettement amoindrie par le recul de
l'emprise exercée par la collectivité sur l'individu85. Les rapports entre l'individu et
81. V. not. : L. HUSSON, Nouvelles études sur la pensée juridique, Dalloz, Paris, 1974, p. 356,
observant aussi l' « étroite corrélation entre les Droits positifs et les sociétés qu'ils régissent ». L'auteur
précise à propos du rapport existant entre le type social et le phénomène juridique que : « En le soulignant
la théorie sociologique remplit une fonction nécessaire à la science du Droit. Mais corrélation ne veut pas
dire détermination. Le rapport qui existe entre une société et son droit n'est pas de l'ordre de celui qui
s'établit entre une cause mécanique et son effet, mais plutôt de l'ordre de celui qui relie la solution d'un
problème à ses données ». À propos de l'influence de la pensée durkheimienne sur les juristes, v. not. :
J. CARBONNIER, Sociologie juridique, PUF, Paris, 2012, pp. 101-106, soulignant l'empreinte importante
de la pensée durkheimienne dans le domaine de la sociologie juridique, notamment à travers « l'outillage
conceptuel » légué par E. Durkheim parmi lequel figurent par exemple les idées de contrainte collective ou
de conscience juridique collective ainsi que d'institution et de système juridique.
82. E. DURKHEIM, De la division du travail social, préc., p. 78. La division sociale du travail étant
faible, les rapports sociaux s'analysent en une solidarité de type mécanique ou par similitude, qui caractérise
l'emprise que le groupe possède sur l'individu.
83. Ibid.,p. 119.L'auteur souligne que : « Il suffit en effet de jeter un coup d'œil sur nos Codes pour y
constater la place très réduite que le droit répressif occupe par rapport au droit coopératif. (...) L'ensemble des
relations soumises à une réglementation pénales ne représente donc que la plus petite fraction de la vie générale,
et, par conséquent, les liens qui nous attachent à la société et qui dérivent de la communauté des croyances
et des sentiments sont beaucoup moins nombreux que ceux qui résultent de la division du travail ».
84. Ibid., p. 83. La division sociale du travail introduit dans la société moderne une forme de solidarité
dite organique, impliquant des rapports d'échanges et d'interdépendances entre individus, ce qui se
traduit par un recul de la pression du groupe sur les individus.
85. Ibid., p. 83, soulignant qu'il s'agit ici de régir les rapports qui unissent les individus, c'est-à-dire,
ceux qui s'établissent « non entre l'individu et la société, mais entre des parties restreintes et spéciales de la
société qu'ils relient entre elles ».

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