Bibliothèque de droit privé - Tome 622 - La règle impérative - 23

INTRODUCTION
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méfiance et la réprobation puisqu'ils ont pour effet de soustraire des individus à la loi
commune. Comment ne pas y voir une forme de privilège ? On imagine difficilement
que deux équipes sportives s'arrangent pour modifier les règles applicables à leur
partie lors d'un tournoi officiel ou que les habitants d'un quartier puissent valablement
s'entendre pour augmenter la vitesse de circulation maximale autorisée pour
leur véhicule. Le souci d'égalité milite en faveur d'une interdiction en bloc de ces
législations individuelles, élaborées par les individus eux-mêmes, et qui viendraient
faire obstacle à la mise en œuvre de la loi commune.
Plus fondamentalement, l'obéissance que les particuliers doivent à l'égard de la loi
jette le trouble sur la légitimité de ces aménagements contractuels. Proposer de respecter
une norme de substitution, la sienne en l'occurrence, ne serait-ce pas une manière
détournée de proposer de ne pas respecter la loi ? Peut-on d'ailleurs encore parler de
règles lorsque celles-ci peuvent être écartées et remplacées par ceux-là mêmes auxquels
elles sont censées s'appliquer12 ? En théorie, la règle ne propose pas, elle dispose. L'autorité
des lois, piliers de l'organisation des sociétés, semble ainsi exclure que les particuliers
puissent valablement y substituer leur propre norme13.
Au premier coup d'œil, l'avenir des conventions contraires à la loi apparaît ainsi
compromis. Au regard des grands principes, ces aménagements paraissent heurter de
front tant le caractère général de la règle que son caractère obligatoire.
Et pourtant, ces réflexions de bon sens ne traduisent que partiellement la réalité
du droit. Les rapports qu'entretiennent le contrat, norme choisie par ses destinataires,
et la règle de droit, norme imposée par une autorité extérieure, ne sont pas aussi simples.
Bien souvent, les parties à un contrat sont autorisées à substituer à la norme
légale une stipulation contractuelle14. Les exemples ne manquent pas et il ne faut
pas chercher bien loin ni très longtemps pour les trouver. Parmi les plus connus figurent
les règles régissant le régime matrimonial des époux. Si les règles de la communauté
légale réduite aux acquêts ne leur conviennent pas, ceux-ci peuvent les remplacer
par un autre régime, une séparation de biens, une communauté conventionnelle,
voire un régime de participation aux acquêts15. Le corpus juridique fournit
12. G. RIPERT, Lesforces créatrices du droit, LGDJ 2e
éd., 1955, no
166, p. 395 : « Toute loi ayant un
caractère obligatoire, son application ne peut dépendre de la volonté des sujets de droit tenus de la respecter
». Ch. DEBBASCH, « Déclin du contentieux administratif», D. 1967, Chron., p. 98 : « Une réglementation
qui prévoit en même temps (...) le pouvoir de déroger à ses dispositions n'a plus aucun sens ».
13. J.-E.-M. PORTALIS, « Exposé des motifs du titre préliminaire », Écrits et discours juridiques et
politiques, PUAM, 1988, pp. 77-78 : « Desjurisconsultes ontpoussé le délirejusqu'à croire que des particuliers
pouvaient traiter entre eux comme s'ils vivaient dans ce qu'ils appellent l'état de nature, et consentir
tel contrat qui peut convenir à leurs intérêts, comme s'ils n'étaient gênés par aucune loi (...) Toutes ces
dangereuses doctrines (...) doivent disparaître devant la sainteté des lois. Le maintien de l'ordre public
dans la société est la loi suprême. Protéger des conventions contre cette loi suprême, ce serait placer des
volontés particulières au-dessus de la volonté générale, ce serait dissoudre l'État ».
14. J. DABIN, « Autonomie de la volonté et lois impératives, ordre public et bonnes mœurs, sanction
de la dérogation aux lois en droit privé interne », Annales de droit et de sciences politiques, 1940, pp. 190
et s., spéc. no
3, p. 193 : « La liberté de règlement reconnue aux particuliers n'intervient pas seulement (...)
dans les matières non prévues par la loi. Souvent le législateur permet, defaçon absolue ou sous certaines
limitations, que son propre règlement soit écarté et remplacé par un règlement particulier que les intéressés
jugeraient plus conforme à leurs idées, à leurs convenances, aux singularités de leur cas ».
V. également, ibid.,« non seulement donc il arrive que la source privée supplée la source publique absente,
mais l'inverse se produit aussifréquemment : la source publique se borne à suppléer à la source privée ».
15. C. PÉRÈS-DOURDOU, La règle supplétive, préf. G. Viney, LGDJ, Bibliothèque de droit privé, t. 421,
2004, no 4, p. 3. « Les illustrations qui sont données [de la règle supplétive] sont le plus souvent puisées

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