Bibliothèque constitutionnelle et de science politique - Tome 160 - Les actes nuisibles à la vie en société - 107

LA SOCIÉTÉ, UN ESPACE PUBLIC ENTRE SPHèRE PRIVÉE ET SPHèRE POLITIQUE
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La particularité de ces lieux de rencontre et de débats est qu'ils permettent aux
individus de s'éduquer à « l'altérité », la civilité y joue donc un rôle tout aussi
important que dans les salons littéraires de l'Ancien Régime.
190. Cela ne signifie toutefois pas que la civilité ne trouve à s'appliquer que
dans les lieux para-politiques qui se constituent au sein de la société. Ces règles
sont aussi importantes, sinon plus importantes, dans les espaces publics, qui
représentent un lieu au sein duquel les interactions sociales sont en perpétuel
devenir. La civilité permet donc de penser une citoyenneté qui déborderait le strict
cadre de l'agora et imposerait un comportement civique dans tous les lieux de vie
partagés. La société deviendrait donc « le lieu d'une citoyenneté sociale par-delà
la citoyenneté politique, dont la traduction concrète - le dépôt d'un bulletin dans
l'urne - est par définition éphémère »145
. Précisons toutefois que la citoyenneté
. En effet, c'est grâce à la citoyenneté que la
est ici comprise dans une acception assez large et pas seulement comme étant la
capacité de jouir d'un droit de vote146
société n'est pas seulement un espace de liberté atomistique mais bel et bien un
substrat du corps politique : « Tout autant qu'un statut la citoyenneté est aussi
une praxis, voire une vertu : une énergie morale, une force, au sens premier de ce
dernier terme, et par extension une pratique conforme à un idéal, car elle participe
de la recherche du bien ; d'un bien commun qui se trouve en chaque membre de
la cité et dont il est avec tous comptable. La notion désigne alors l'action même de
participer au corps politique et à la délibération commune, mais aussi au corps
civil au travers du respect des lois et des codes de la communauté, c'est-à-dire du
civisme et de l'engagement en faveur de la collectivité »147
. Le Conseil d'État
d'ajouter : « Si l'on s'efforce d'en systématiser l'approche, le civisme peut être
regardé comme comportant plusieurs degrés. Un degré élémentaire fondé sur la
stricte observance des règles de la civilité, sur le respect des autres et de l'harmonie
de la vie en société »148
.
La civilité, comme élément constitutif du civisme, est donc ce par quoi
advient un phénomène imperceptible et pourtant fondamental, c'est par sa stricte
observance que les citoyens assurent le vivre-ensemble, nécessaire à l'unité du
corps social. Dans l'exposé des motifs qui accompagne le Projet de loi visant à
renforcer le respect des principes républicains - enregistré à la Présidence de l'Assemblée
nationale le 9 décembre 2020 - le législateur adopte une position similaire
en plusieurs endroits : « La garantie de l'effectivité des règles communes
pourra consolider la civilité minimale indispensable au lien social »149
. La représentation
nationale va même plus loin, en affirmant que la civilité est la condition
de la liberté au sein de la République : « La loi doit donc exprimer plus fortement
les principes qui contribuent à définir ce que nous avons en commun et qui déterminent
la civilité dans la République, qui est une condition de la liberté »150
.
145. Ibid.
146. MICHON-TRAVERSAC (A.-S.), La citoyenneté en droit public français, op. cit., p. 601.
147. Conseil d'État, La citoyenneté. Être (un) citoyen aujourd'hui, Les rapports du Conseil
d'État, 2018, p. 23.
148. Ibid. p. 47.
149. Projet de loi confortant le respect des principes de la République, Assemblée nationale,
n° 3649, p. 22 [Exposé des motifs]. La numérotation des pages recommence à partir de l'exposé des
motifs ; il faut donc distinguer l'introduction, qui comprend aussi un résumé de chacun des cinquante
articles, et l'exposé des motifs.
150. Ibid.

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