Bibliothèque constitutionnelle et de science politique - Tome 160 - Les actes nuisibles à la vie en société - 134

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LES ACTES NUISIBLES À LA VIE EN SOCIÉTÉ
capitale de la dialectique qui se noue entre le sujet et la norme qui lui dicte son
comportement, suppose que cette dernière ait fait l'objet d'un consensus - si elle
est produite par le corps social -, ou qu'elle ait été votée par les représentants du
peuple souverain selon un processus démocratique - si c'est une norme étatique.
236. Cette logique est présente dans la Déclaration de 1789 et plus particulièrement
dans son article 5 : « La Loi n'a le droit de défendre que les actions
nuisibles à la Société. Tout ce qui n'est pas défendu par la Loi ne peut être empêché
et nul ne peut être contraint à faire ce qu'elle n'ordonne pas ». Si la liberté de
l'individu se réalise dans le silence de la loi, c'est parce que ce dernier est supposé
avoir plusieurs certitudes qui lui permettent d'agir sans se sentir mis en danger
par le pouvoir souverain.
La première de ces certitudes est la suivante : la loi n'intervient pour réglementer
les comportements que lorsque cela devient nécessaire pour préserver
l'ordre au sein de la société. La loi revêt donc un caractère nécessaire qui lui
confère sa légitimité, et, de ce fait, l'État est censé n'avoir qu'un rôle second dans
la police des mœurs. Ainsi, la loi, lorsqu'elle interdit un comportement, n'exerce
pas une contrainte sur la société et ceux qui l'habitent, parce qu'ils ont intériorisé
l'idée que cette intervention était attachée à l'intérêt de tous.
La deuxième certitude peut se résumer ainsi : en dehors des cas où son comportement
tombe sous le coup d'une réglementation, l'individu se sait libre d'agir
à sa guise. Ainsi, il ne pourra pas être empêché d'agir tant qu'il respecte l'interdit
imposé par la loi et il sait par ailleurs qu'il n'aura jamais à s'obliger à faire ce que
cette dernière ne lui ordonne pas. Il a donc une importante liberté d'action qui
s'exprime dans les silences de la loi. La seule obligation extra legem qui subsiste
tient dans l'obligation de ne pas nuire à la vie en société en respectant l'ensemble
des normes sociales tacites qui ne procèdent pas de la loi mais qui obligent tout
un chacun à rester civil. Ces exigences de la vie sociale, tant qu'elles sont respectées,
conduisent les citoyens à adopter des comportements qui ne sauraient être
nuisibles pour la vie en société ; tout en préservant leur autonomie, puisqu'elles ne
régulent pas ce qui relève de la sphère privée.
237. Aussi, l'article 5, en circonscrivant la capacité d'interdiction du législateur
aux seules actions nuisibles, permet à l'individu de se sentir libre qu'il soit en
présence ou non d'un interdit légal. S'il n'y a pas d'interdit, alors l'individu est
libre d'agir ; lorsqu'il existe un interdit, il sait que ce dernier est nécessaire, il y
consent donc librement.
238. Seule béance que le texte de 1789 n'avait pas encore prévue : que faire
lorsque le législateur interdit un comportement qui n'est pas nuisible, ni à autrui,
ni à la société ? La seule solution que le texte révolutionnaire envisage est de s'en
remettre à la résistance à l'oppression, qui figure au rang des droits naturels et
imprescriptibles de l'homme47
. Toutefois, le droit contemporain a démontré qu'un
contrôle de constitutionnalité des textes de loi était somme toute moins perturbant
pour la continuité des institutions publiques.
Cela étant dit, les constituants avaient formé un système qui était censé
empêcher le législateur d'agir au-delà de ce qui est nuisible. La Déclaration
47. Pour une étude approfondie de cette problématique voir : DESMONS (E.), Droit et devoir de
résistance à l'oppression. Contribution à une théorie du droit positif, Paris, LGDJ, Bibliothèque de droit
public, Tome 193, 1999, 280 p.

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