Bibliothèque constitutionnelle et de science politique - Tome 160 - Les actes nuisibles à la vie en société - 138

122
LES ACTES NUISIBLES À LA VIE EN SOCIÉTÉ
subvertir l'ordre institutionnel tout entier. À raison de son fonctionnement, l'institution
libérale n'est ainsi pleinement elle-même qu'en exerçant le moins possible
l'activité qui caractérise son propre fonctionnement »57
. C'est donc une logique
libérale d'ensemble qui se joue ici, plus qu'un simple principe de nécessité tel qu'il
peut s'exprimer dans un mécanisme de contrôle des textes de lois, ou lors de la
mise en place d'une période d'exception. Ce qui ne doit pas empêcher d'évoquer
ces deux dimensions du principe de nécessité. Ainsi, le droit pénal, dans lequel le
principe de nécessité revêt une importance particulière, commande l'intervention
des pouvoirs publics pour réglementer les comportements individuels.
B. LE PRINCIPE DE NÉCESSITÉ
DANS LE DROIT POSITIF FRANçAIS
246. Comme l'énonçait Robespierre, l'intervention de l'État doit être limitée
à la réglementation des actions nuisibles à la société - l'expression est à entendre,
ici, dans son sens littéral - de manière à préserver la liberté individuelle. La
liberté, entendue comme autonomie, réclame une absence de domination qui suppose
la possibilité d'une interférence dans la liberté du sujet qui ne doit jamais
être arbitraire afin de rester légitime. La Déclaration porte en elle l'idée d'un État
qui ne peut plus être une force de contrainte arbitraire, de manière à laisser primer
l'autonomie du sujet. Cette exigence libérale influe sur le droit pénal, dans le but
de le circonscrire.
Par nature liberticide, le droit pénal doit effectivement être manié avec une
grande précaution par les pouvoirs publics : c'est l'un des principaux enseignements
que l'on peut tirer de la Déclaration de 1789. Les constituants voulaient
substituer aux lettres de cachets et aux embastillements arbitraires un droit pénal
moderne, qui mette en balance les droits de chaque justiciable et les devoirs de la
force publique. Plusieurs garde-fous sont donc prévus par le texte : ils deviendront
des principes cardinaux pour le droit criminel de tout État libéral. On y retrouve
le principe de légalité des délits et des peines, la sûreté, la présomption d'innocence
et un principe de proportionnalité des mesures de police. Enfin on peut
noter l'apparition d'un principe de nécessité, qui deviendra tout aussi crucial dans
la protection des libertés individuelles.
247. Une précision s'impose : en droit pénal, le principe de nécessité doit
s'appréhender en deux temps, la nécessité de l'incrimination d'un côté et la nécessité
de la sanction de l'autre. « Ce qui peut d'ores et déjà être isolé comme un
principe constitutionnel de nécessité des incriminations correspond à la règle
selon laquelle pour être légitime, l'incrimination doit se justifier par une atteinte
grave à une valeur sociale identifiée. L'autre facette du principe correspond à la
proportionnalité de la peine. Pour être légitime, il est nécessaire que le degré de la
peine soit le reflet de la juste balance entre le choix de la sanction et le comportement
incriminé »58
.
Les articles de la Déclaration dans lesquels ce principe est le plus clairement
exprimé sont l'article 5 : « La Loi n'a le droit de défendre que les actions nuisibles
57. PICARD (E.), La notion de police administrative, op. cit., p. 504.
58. CASTERA (P.), « Le principe de nécessité et la loi. Le point de vue du constitutionnaliste »,
HOURQUEBIE (F.) et PELTIER (V.) (dir.), Droit constitutionnel et grands principes du droit pénal,
Paris, Éditions Cujas, p. 38.

Bibliothèque constitutionnelle et de science politique - Tome 160 - Les actes nuisibles à la vie en société

Table des matières de la publication Bibliothèque constitutionnelle et de science politique - Tome 160 - Les actes nuisibles à la vie en société