Bibliothèque constitutionnelle et de science politique - Tome 160 - Les actes nuisibles à la vie en société - 140

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LES ACTES NUISIBLES À LA VIE EN SOCIÉTÉ
Le contrôle de la nécessité est très peu utilisé par le juge constitutionnel français.
Ce dernier répugne à l'appliquer car ce contrôle le conduirait à substituer
son appréciation à celle du législateur - en contrôlant l'existence d'un dispositif
normatif alternatif -, ce qui le mènerait à contrôler indirectement l'opportunité
de l'incrimination. On sait que le Conseil constitutionnel s'est toujours refusé à
opérer un contrôle de l'opportunité jugeant que cela le conduirait à outrepasser
les pouvoirs que la Constitution de 1958 lui octroie. C'est pourquoi il préfère
concentrer son contrôle sur la proportionnalité de la mesure, ou son adéquation
avec l'objectif que s'était fixé le législateur. De la sorte, il s'assure que la sanction
prévue par le législateur est conforme à la constitution et qu'elle est proportionnée
à l'objectif qu'il s'était donné, tout en évitant d'avoir à réellement contrôler la
nécessité de l'incrimination.
L'action incriminée était-elle réellement nuisible ou pas ? Voilà une question
à laquelle le Conseil se refuse donc de répondre. Ce refus est d'autant plus marqué
depuis que le Conseil constitutionnel exige, de la part du législateur, un objectif
de conciliation entre le droit ou la liberté réduit par la loi, et un droit ou une
liberté de même valeur, ou un objectif à valeur constitutionnelle64
. Du moins,
l'exige-t-il pour les droits et libertés de premier rang ; concernant les droits et
libertés moins importants, le Conseil se contente d'exiger « un objectif de poursuite
de l'intérêt général suffisant »65
. Valérie Goesel-Le Bihan affirme que le
Conseil exige désormais un « objectif d'intérêt général de recherche de la paix
sociale »66
. Il convient néanmoins de préciser que ce contrôle de l'objectif poursuivi
possède une limite qui rejoint celle que le Conseil impose au contrôle de
nécessité - voire, pourrait-on dire, qu'il s'impose à lui-même. Cette limite est discernable
dans la décision loi dite " anti-Peruche " 67
mais elle ne sera explicitée que
dans la décision QPC du 30 septembre 2011 : « (...) il n'appartient pas au Conseil
constitutionnel de substituer son appréciation à celle du législateur sur la prise en
compte, en cette matière, du respect dû au corps humain »68
.
249. Ainsi, le principe de nécessité, tel qu'il devrait normalement s'appliquer
au droit pénal, est utilisé de manière lacunaire. Du moins, il apparaît que l'article
5 de la Déclaration de 1789 n'est pas utilisé à sa juste valeur, car il conduirait
le Conseil constitutionnel à opérer un contrôle d'ordre politique sur les textes de
loi. L'histoire de cette institution, autant que les questions lancinantes tenant à sa
légitimité69
, lui empêche d'opérer un tel contrôle bien qu'il puisse être bénéfique
pour la protection des libertés.
250. Au-delà de ces réticences, somme toute compréhensibles, une autre
limite apparaît : il semble impossible d'utiliser l'article 5 car le contrôle de nécessité
qu'il suppose repose sur la capacité du Conseil constitutionnel à définir ce qui
64. GOESEL-LE BIHAN (V.), « Le contrôle de l'objectif poursuivi par le législateur dans la
jurisprudence récente du Conseil constitutionnel », RFDC, 2014/2, n° 98, p. 269-291.
65. Ibid.
66. Ibid.
67. Conseil constitutionnel, décision n° 2010-2 QPC du 11 juin 2010, Mme Vivianne [dite loi
" anti-Perruche " ].
68. Conseil constitutionnel, décision n° 2011-173 QPC du 30 septembre 2011, Mme Louis C. et
al. [conditions de réalisation des expertises génétiques sur une personne décédée à des fins d'actions en
matière de filiation].
69. BONNET (J.), GADHOUIN (P.-Y.), ROUSSEAU (D.), Droit du contentieux constitutionnel,
éd., 880 p.
Paris, LGDJ, Précis Domat, 2016, 11e
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