Bibliothèque constitutionnelle et de science politique - Tome 160 - Les actes nuisibles à la vie en société - 284

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LES ACTES NUISIBLES À LA VIE EN SOCIÉTÉ
ou de ses égarements »16
. Là encore, le constat qui est tiré renvoie à l'idée que
l'ordre public de protection individuelle - qui n'est pas nommé comme tel par
Diane Roman - se porte sur le rapport que l'individu entretient avec son corps.
Néanmoins, il convient d'ajouter que cette conception de l'ordre public doit se
cantonner au rapport que l'individu entretient lui-même avec son corps, sans
intervention d'un tiers. « Il convient en effet de distinguer deux situations qui
sont, en particulier juridiquement, radicalement différentes : selon que la personne
seule est concernée, ce qu'on pourrait appeler, même si la formule en miroir
est philosophiquement complexe, un rapport de soi à soi, ou selon qu'au contraire,
c'est d'un rapport à autrui dont il s'agit »17
. Le cas où un individu est empêché
d'agir contre lui parce que l'intégrité d'autrui est en jeu ne relève pas du rapport
de soi à soi. Dans ce cas, la limitation qui est imposée à la liberté s'inscrit dans la
tradition juridique française. Classiquement, l'article 4 de la Déclaration de 1789
définit la liberté comme la capacité de pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à
autrui et la conception française de l'ordre public matériel vise déjà à faire respecter
ce principe, en protégeant l'individu contre les atteintes qui peuvent lui être
portées par un tiers.
544. Un constat s'impose donc quant à la typologie de ces actes : le rapport
de soi à soi est finalement résiduel, tant il est vrai que la plupart des comportements
individuels finissent par rejaillir sur un tiers. De fait, une grande partie de
ces comportements ne doit pas être rangée dans la catégorie des actes qui ne
nuisent qu'à ceux qui les commettent. C'est pourquoi une sous-distinction semble
être nécessaire au sein des actes que l'on vise, de manière à distinguer ceux qui
relèvent de l'ordre public matériel et ceux qui peuvent être adjoints à l'ordre
public de protection individuelle.
545. Tout d'abord, il y a les actes qui peuvent nuire à ceux qui les commettent
tout en ayant des répercussions sur autrui. L'interdiction de la conduite
en état d'ivresse, ou sous l'emprise de stupéfiants, en est un parfait exemple18
. Ici,
il ne s'agit pas de contraindre l'individu à l'hygiénisme mais d'éviter un potentiel
accident qui serait dû à la perte de contrôle du véhicule. L'obligation de porter
une ceinture de sécurité est un cas plus tangent19
. Il conduit en effet les pouvoirs
publics à sommer un individu de s'attacher pour sa sécurité, dans un habitacle qui
est pourtant considéré comme un espace privé. Pour autant, cette obligation ne
vise pas uniquement à protéger l'individu de sa « mauvaise conduite », puisque
l'absence de ceinture de sécurité peut avoir des répercussions sur autrui. Il semble
avéré que « la personne qui ne porte pas de ceinture pourra en effet plus facilement
perdre le contrôle de son véhicule »20
. Dès lors, l'accident qui pourrait en
. Elles n'ont pas été instituées pour
résulter serait potentiellement dommageable pour des tiers. Finalement, les lois
anti-tabac répondent à la même logique21
16. ROMAN (D.), « À corps défendant. La protection de l'individu contre lui-même », Recueil
Dalloz, 2007, p. 1285.
17. FABRE-MAGNAN (M.), « Autonomie personnelle, indisponibilité du corps humain et justice
sociale », Liber Amicorium en hommage à Antonio MARZAL, Esade, Bosch editor, 2008, p. 200.
18. Article L. 234-1 du Code de la route.
19. Voir notamment le Décret n° 2006-1496 du 29 novembre 2006 relatif à l'obligation du port
de la ceinture de sécurité.
20. FABRE-MAGNAN (M.), « Autonomie personnelle, indisponibilité du corps humain et
justice sociale », art. cit., p. 201 (note 26).
21. Loi n° 91-32 du 10 janvier 1991 relative à la lutte contre le tabagisme et l'alcoolisme.
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